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c’est devant leur porte, sous la galerie, que les négocians font salon et reçoivent leurs visiteurs. Les maisons de commerce de Santiago ne ressemblent pas du tout à celles du Havre ou de Liverpool. Ce sont de grands entrepôts avec quelques salles réservées pour le bureau des maîtres. Le porche est encombré de caisses de sucre et de balles de café qu’on entasse dans les magasins. Assis sur le pas de sa porte, le négociant vous accueille, discute avec vous ses affaires, tout en surveillant du coin de l’œil les mules qu’on charge et qu’on décharge, les porteurs nègres à demi nus, avec leurs fronts enveloppés comme ceux des statues égyptiennes dans des sacs de toile grise pendans sur les épaules, et leurs dos luisans, robustes, couverts de sueur. Des nuages de poussière odorante s’élèvent des sacs de café qu’on remue. Le maître fait ouvrir les balles pour voir et respirer la graine, déclouer les caisses pour goûter une pincée de sucre, ou bien il soulève avec son couteau le couvercle des boîtes de cigares pour en déguster l’arôme. Il vit comme un patriarche au milieu de ses serviteurs, au lieu de vivre comme un scribe au fond de son cabinet.

Le soir je vais entendre la musique sur la place d’Armes. L’orchestre écorche les oreilles, et le concert se termine invariablement par une marche triomphale exécutée à pleins poumons et à tour de bras par tous les instrumens. Heureusement qu’on est en plein air ! Quand la musique entonne cette retraite formidable, les dames montent sur le perron de la cathédrale pour voir défiler le cortège. C’est une scène gaie, vivante, et les roulemens des tambours espagnols valent bien les roulades des chanteuses de l’opéra.

Puisque nous sommes sur les marches de la cathédrale, ce serait l’occasion d’y faire une courte visite. Elle est d’un style jésuite plat et boursouflé, comme toutes les églises du pays. Il y a des ex-voto pendus aux murailles dans les chapelles, des statues de la Vierge habillées et enrubannées au fond des sanctuaires, où brûlent dévotement des cierges de couleur. Je ne sais pourquoi toute cette dévotion me paraît froide et convenue. Il règne évidemment dans la colonie une semi-indifférence déjà fort surprenante en pays espagnol. L’église catholique y est pourtant sans rivale ; mais elle n’a pas cet établissement somptueux, ces grandes richesses qui sont par tout pays le signe visible de son influence et la preuve la plus certaine du zèle religieux. Les couvens par exemple, si nombreux au Mexique et partout où l’Espagne de Philippe II a développé son génie, me semblent aussi rares dans ce pays-ci que chez nous.

Cette espèce de tiédeur est d’autant plus remarquable qu’elle fait contraste avec le fanatisme religieux qui n’a cessé de régner au Mexique. Cette colonie révoltée contre la métropole, où le nom