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dans un fourré d’une végétation exubérante, se cachent quelques huttes de bambous et d’écorce : voilà les faubourgs. Ces fouillis sauvages de feuillages et de fleurs, où polissent sans culture les arbres à pain, les cocotiers, les orangers en fruits, les grenadiers à fleurs rouges, les cannes à sucre colossales, les bambous aussi grands que des sapins ou des peupliers, sont les jardins fruitiers de la ville. La rivière ruisselle sur un lit de cailloux brillans, entre deux haies de cocotiers penchans et pleureurs. Le soleil incliné rase les pentes de la montagne, et illumine çà et là de petits plateaux étages comme des gradins naturels ; des troupeaux y sont encore rassemblés à l’ombre de quelques gros arbres étalés comme des parasols.

J’allai dîner à bord de la frégate en plus aimable compagnie qu’à l’auberge. Ce soir enfin, mes nouveaux amis m’ont fait voir pour mon dessert quelques-unes des plus célèbres beautés de Fort-de-France. Peut-être aimerez-vous que je vous introduise, en tout bien tout honneur, chez ces Laïs martiniquaises, dont l’intérieur ressemble si peu aux boudoirs de nos Pompadours parisiennes. Leurs palais, comme on dirait en Italie, sont des maisonnettes de bois toutes simples à un seul étage, comme toutes les maisons de la ville. Pas de glaces, de tapis, de lambris dorés, de tentures de soie, de meubles de brocart et de velours, — mais des murs blancs, quatre ou cinq chaises de paille, un fauteuil à bascule, un ou deux lits de sangle, et pour tous rideaux des jalousies mobiles qui laissent entrer à volonté l’air, la lumière et les regards indiscrets des passans. Voilà tout l’ameublement des maisons les plus élégantes. Souvent un jet d’eau jaillit dans la cour et alimente un bassin limpide où l’on prend des bains délicieux. La maîtresse du logis n’est pas plus fardée que sa demeure ; elle ne connaît d’autre cosmétique que l’eau pure de la fontaine, d’autre coiffure que ses longs cheveux tressés. Elle n’a pour toute parure qu’une robe de mousseline d’une blancheur éclatante, aussi fraîche que son épaule brune. Rien ne déguise et ne défigure sa taille ; elle n’emprunte ni l’acier ni la ouate pour réparer l’avarice de la nature ou le ravage des années. On devine sous ses légères draperies blanches des formes pleines et parfaites comme celles d’une statue païenne. Elle dormait quand nous sommes entrés, et la voilà qui descend de sa chambre en s’étirant les bras avec des mouvemens voluptueux. En la voyant venir, droite et blanche, dans le demi-jour mystérieux répandu par la lampe, la bouche entr’ouverte, avec un sourire enfantin et un petit bâillement plein de grâce, arrondissant langoureusement ses beaux bras, et passant le revers de ses mains sur ses paupières demi-closes, il nous semble voir Hébé en personne, toute rayonnante