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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/927

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vives lors des négociations qui devaient les replacer sous l’autorité de leurs anciens maîtres, plus ils se montraient maintenant rassurés et sympathiques, et cela était aussi vrai de l’habitant du village, qui pouvait craindre pour son champ, que de l’humble batelier de la rivière, vivant avec sa femme dans une étroite pirogue à côté de l’enfant endormi dans son hamac.

Ce qui a le plus nui à la Cochinchine dans l’opinion, ce qui a presque failli la faire succomber sous le poids immérité de l’indifférence publique, ç’a été qu’au début la raison d’être de cette occupation ne ressortait clairement aux yeux de personne en France. De plus l’enthousiasme irréfléchi de quelques-uns de ses admirateurs (et ils étaient nombreux dans notre marine) se laissait aller à rêver pour elle un avenir dont faisaient aisément justice les esprits sensés. Elle ne nous donnera évidemment ni les richesses chèrement acquises de Java, ni l’ascendant commercial que tant de causes ont assuré de longue date aux Anglais dans les mers de l’extrême Orient ; mais ce n’était pas là ce que nous recherchions, et en fondant un établissement durable à Saigon nous n’avons fait que réaliser une pensée dont depuis longtemps nos hommes d’état se transmettaient le legs héréditaire. Nous reviendrons sur la tentative avortée de Louis XVI, à laquelle les événemens de 1789 empêchèrent de donner suite ; rappelons seulement ce qu’écrivait dès 1843 M. Guizot dans ses instructions à M. de Lagrenée, ministre plénipotentiaire de France en Chine. « Il ne convient pas à la France, disait-il, d’être absente dans une aussi grande partie du monde où déjà les autres nations de l’Europe ont pris pied ; il ne faut pas que nos bâtimens ne puissent se réparer que dans la colonie portugaise de Macao, dans le port anglais de Hong-kong ou dans l’île espagnole de Luçon. » L’occupation de la petite île de Basilan, située près de Mindanao, à l’extrémité de l’archipel des Soulou, fut sur le point d’être le résultat de ces instructions ; il ne fallut pas moins que les graves complications diplomatiques de 1845, unies aux expéditions de la Plata et de Madagascar, pour faire renoncer à ce projet, de l’abandon duquel nous ne pouvons que nous féliciter aujourd’hui ; mais ce que ne put faire la monarchie de juillet, il devait être donné au gouvernement actuel de l’accomplir dans les circonstances les plus favorables. Notre conquête de la Cochinchine ne fut donc pas un ricochet de la guerre de Chine, comme on l’a trop souvent répété. Elle précéda au contraire cette dernière, et Tourane eût peut-être été le siège de la nouvelle colonie sans l’heureuse inspiration qui nous conduisit à Saïgon. Peu de positions dans ces mers satisfaisaient dans une aussi juste mesure aux diverses conditions que nous devions essayer de réunir.