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pas ces conflits qui ont mieux dessiné à tous les yeux ce que les publicistes libéraux appellent la mission allemande de la Prusse ? Les causes immédiates de la dernière guerre sont assurément des plus tristes ; il y a eu des ruses, des manques de foi, tout un ensemble de tactiques mauvaises qui affligent encore les cœurs allemands au nord comme au sud de la ligne du Mein[1]. La punition de l’Autriche a éclaté au moment où elle faisait d’honnêtes efforts pour le bien, où elle continuait ses réformes intérieures, où elle essayait tour à tour différens systèmes en vue de concilier le droit de l’autorité centrale avec les droits des peuples réunis sous son sceptre ; on a pu enfin, même dans la France libérale, même au nom de l’équité, s’intéresser à la monarchie des Habsbourg ! C’est le jeu des choses humaines, c’est l’ironie de la destinée. Comme les changemens de ce monde dépendent presque toujours de causes lointaines, le coupable a souvent disparu quand le châtiment arrive. La morale fait bien de maintenir ses principes dans l’appréciation des faits particuliers ; mais la raison politique ne considère pas toujours les choses au même point de vue, elle cherche l’idée générale qui domine les circonstances fortuites et découvre une justice dans l’histoire.

L’Autriche obéissait au détestable esprit de 1815 et de la sainte-alliance quand elle empêchait les peuples allemands de suivre leur pente naturelle, et violentait dans la Prusse un des plus actifs représentans de la société moderne. Alors même qu’elle essayait de se régénérer pour son propre compte (et certes, depuis quinze ans, elle y a employé à maintes reprises les efforts les plus louables), chaque fois qu’un différend quelconque ramenait l’antagonisme des deux états, on voyait reparaître la tradition arrogante de la chancellerie impériale. Ceux qui ont suivi ces polémiques avec quelque attention ne me démentiront pas. Ce ton altier était devenu commun à toute la presse officielle. Quel mépris pour l’Allemagne du nord ! Je me rappelle un manifeste autrichien dont l’auteur s’écriait à propos d’une opinion exprimée par le cabinet de Vienne et discutée par le cabinet de Berlin : « Silence ! quand l’empereur a parlé, les margraves se taisent. » Le margrave, c’était le successeur de Frédéric le Grand. C’est ainsi qu’on effaçait d’un trait de plume cent cinquante ans de l’histoire d’Allemagne, le XVIIIe siècle et le XIXe. Incidens puérils, dira-ton, intempérances de la plume ! quelle polémique en est exempte ? Oh ! non pas ; c’était bien le fond de la pensée, le secret du système. Jusqu’au jour où M. de Bismark, avec les moyens qui lui sont propres et que je n’ai pas à juger en ce

  1. Je n’ai pas besoin de résumer une histoire encore présente à l’esprit de nos lecteurs ; toute cette période a été racontée ici même avec autant de loyauté que de précision par notre collaborateur et ami M. Julian Klaczko.