Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/955

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

caserne ; mais que de méprises entre les deux nations, méprises exploitées si longtemps contre nous par l’esprit de 1815 ! Si ces défiances d’un autre âge reparaissaient encore, ce ne serait plus méprise, ce serait aveuglement. Ni la Prusse ni l’Allemagne ne peuvent méconnaître ce qu’elles doivent à la France. Je sais bien que la générosité en politique n’est pas toujours admise par ceux qui en profitent, je sais que la reconnaissance est souvent un poids pour les peuples, et qu’au nom même du patriotisme ils s’en croient dégagés vis-à-vis de leurs émules. Ces sentimens fâcheux ne se sont-ils pas déjà fait jour ? Les publicistes prussiens ne cherchent-ils pas à se persuader eux-mêmes que la neutralité de la France était non pas une preuve de désintéressement, mais un acte politique commandé par les circonstances ? N’affirment-ils pas que l’intervention de nos armes eût immédiatement réuni le nord et le midi de l’Allemagne sous les drapeaux de la Prusse, et que la grande œuvre de l’unité future, au lieu de traverser des complications sans fin, serait sortie toute rayonnante du sein de la guerre ? Nous croyons aussi qu’une guerre comme celle-là eût été impolitique autant qu’injuste ; nous croyons qu’en face du péril commun les rivalités allemandes, encore si vives, eussent fini par disparaître. Songez pourtant combien les choses vont vite dans nos campagnes du XIXe siècle, comme les coups sont rapides, décisifs, et quel mal nous aurions pu vous faire en prêtant notre appui à ces populations qui n’hésitaient pas à crier : Plutôt Français que Prussiens ! C’est aux Prussiens eux-mêmes que j’emprunte ces révélations ; on peut lire dans le Messager de la frontière du 20 juillet le curieux tableau de l’agitation du Wurtemberg avant et après la bataille de Kœniggrætz, — les comités démocratiques unis au gouvernement pour jeter des cris de mort à la Prusse, la Marche de Radetzky résonnant dans les jardins publics comme une marseillaise fédérale, les femmes occupées à faire de la charpie, les Prussiens comparés aux rebelles des États-Unis qui devaient être domptés par l’Union, enfin, à la nouvelle de la déroute autrichienne, le journal officiel de Stuttgart se tournant vers la France et invoquant son aide… La France n’a pas profité de ces appels, elle ne le devait pas, elle devait se montrer désintéressée sous peine de se démentir ; faut-il donc, parce qu’elle a rempli son devoir, méconnaître dans sa conduite une vive sympathie pour les destinées de l’Allemagne ? Et, quand il s’agit d’une nation aussi honnête que la nation prussienne, ne serait-ce pas lui faire tort que d’invoquer seulement les raisons politiques qui l’attirent désormais dans le cercle de nos idées, sans lui rappeler en même temps que les haines de race entre elle et nous sont pour jamais détruites, qu’elle nous doit quelque chose,