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rampans et armés, ces tigres grimpans, ces taureaux et ces chevaux ailés, ces lions couronnés, combattans ou sautans, dans les animaux allégoriques tels que la salamandre[1], le griffon, le pélican, la cocatrix, l’ibis, la licorne, qui depuis la langue hiératique jusqu’à nos jours font partie de la poésie orientale, nous ne prétendons pas voir sans doute des copies exactes de la création ; il nous suffit de constater que l’aspect de ces animaux reste très vrai, très caractérisé, tout en devenant arabesque, et passe du naturel au merveilleux sans effort et sans secousse. Ce ne peut être là que le résultat d’un examen approfondi de la nature. L’œil des Orientaux a d’ailleurs une puissance, une finesse d’organisation qui leur permet de voir sans le secours de verres grossissans des détails que nous ne discernerions jamais. Nos regards ne sont pas habitués à ces intensités de lumière qui là-bas pénètrent tous les corps. C’est ainsi qu’ils ont remarqué dès l’antiquité mille choses que nos savans ne découvrent qu’à l’aide d’instrumens perfectionnés. Et quelle mine inépuisable d’observations précieuses la nature n’offre-t-elle pas au décorateur et à l’architecte ! Tel animal constructeur par excellence, examiné à la loupe, se montre muni de tous les ustensiles nécessaires à son métier. Dans la forme de ses membres, vous trouvez des segmens du cercle répétiteur, des rabots, des pinces, des tenailles, des sécateurs, des scies, tous les outils en un mot du maçon, du menuisier, du tailleur de pierres, du tourneur en bois, du dessinateur. Se servant de son corps comme d’un compas, il forme des coupoles charmantes et des divisions exactes comme celles d’un géomètre. Ce que notre intelligence et nos observations nous permettent d’exécuter, l’animal le fait, guidé par son instinct, aidé par des instrumens irréprochables. Ces facultés, ces instincts si puissans, engendrés par la nature même du pays, ont des raisons secrètes, sont régis par les règles de construction les plus sûres ; voilà ce que la philosophie générale fait pressentir et ce que confirme l’observation. Les Perses le comprirent : par leur communion incessante avec la nature, ils arrivèrent à découvrir non-seulement les moyens et les procédés de métier, mais encore plusieurs des grandes lois de physique ou de chimie, et surent en extraire les principes applicables aux formes et à la décoration monumentales.

Un hasard nous fit découvrir cette route si naturelle et si féconde. Un jour au Caire, un de ces beaux jours de janvier tout imprégnés du parfum des mimosas et des jasmins en fleur, un naturaliste français, dont nous avions fait la connaissance au bazar,

  1. Salamandre a pour racine le mot persan semender, composé de sâm, feu, et anderoûn, dedans.