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nous montra chez lui la collection de coquillages et de madrépores qu’il venait de rapporter des bords de la Mer-Rouge. Depuis quelque temps déjà, nous étions occupé du matin au soir à dessiner les minarets, les coupoles des mosquées et des tombeaux, les grilles, les fenêtres sculptées à jour, les broderies d’arabesques, qui donnent aux monumens du Caire un aspect si caractéristique. Nous avions l’esprit tout rempli des formes et des motifs du style oriental. Le premier objet qui nous tomba sous les yeux fut une astrée polygonale en forme de colonne, exactement semblable au minaret d’Ibrahim-Agha, dont, une heure auparavant, nous avions pris le dessin. On comprend qu’une fois sur cette trace notre attention dut être éveillée, et nos investigations se firent avec d’autant plus d’intérêt qu’à chaque instant une découverte nouvelle corroborait la première, et que nous trouvions entre les formes ou les dessins des coquillages d’un côté, les ornemens ou les profils des minarets, des arcs et des coupoles de l’autre, des analogies de plus en plus nombreuses, l’astrée qui tomba d’abord sous nos regards et le fût du minaret d’Ibrahim-Agha sont tous deux décorés de polygones rayonnans. Certes l’idée peut venir à tout le monde de faire un dessin de ce genre ; mais, pour savoir que ces polygones répétés à côté les uns des autres sur la surface d’une tour produiront un décor charmant, ne faut-il pas avoir eu sous les yeux ces colonnes madréporiques ? Il y a un autre motif d’ornementation très usité dans les constructions orientales, dans l’architecture de l’Inde, dans les objets d’art, et que la renaissance elle-même a souvent employé : c’est le vermiculé, décoration qu’on peut voir sur les portes du Louvre. Le motif original nous est offert par la meandrina phrygia ou leptoria[1], et par plusieurs autres genres de madrépores. Le leptoria du golfe Persique nous montre ces dessins que les ornemanistes nomment des grecques, ces méandres géométriques qui encadrent les manuscrits chinois, persans et arabes. Ces rayures ondées, ces zigzags espacés et contrariés avec un admirable sentiment de la proportion et de la distance, vous les voyez partout dans le décor oriental, sur les dômes, autour des portes et des fontaines, sur les plafonds, les mosaïques et les faïences. Or ils sont disposés de même sur les coquilles, les oursins et entre autres sur ces bucardes exotiques. La couleur des bucardes, — rouge d’ocre sur fond nankin, bleu ardoise ou blanc, — a même été conservée sur les monumens. Les habitations que se construisent les oursins du golfe Persique et de la Mer-Rouge nous fournissent des rapprochemens encore plus saisissans. Ces habitations sont souvent merveilleuses : représentez-vous un petit dôme en une sorte de chaux parcheminée, percé à la

  1. Louis Agassiz, Monographies d’Echinodermes.