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core mille recommandations à son confident, et l’on se sépara fort tard pour aller dormir.

Le lendemain eût été une belle journée dans la vie de Centoni, si le moment de la séparation n’eût mêlé un peu d’amertume au plaisir d’être utile. Il conduisit mistress Hobbes au chemin de fer dans sa gondole, et, après lui avoir fait les plus tendres adieux, il revint se mettre à la disposition de miss Lovel, régler le compte de ses dépenses chez Danieli, et diriger avec intelligence et célérité tous les détails du déménagement et de l’installation à San-Maurizio. En quelques heures, les boîtes, les porcelaines, les objets d’art furent mis en place, les miniatures fixées au mur, les album et les livres dans leur ordre accoutumé. La gondole de Beppo arriva chargée de fleurs qu’on déposa, les unes sur une étagère, les autres en pleine terre, si bien que le jardinet prit en un moment l’apparence de luxe qui convenait à l’habitation d’une jolie femme. Du fauteuil où elle était assise, Martha présidait à la manœuvre. — Si jamais, dit-elle à Centoni, je deviens propriétaire d’un palais sur le Grand-Canal, comme la Taglioni, je n’aurai pas d’autre intendant que vous.

Le soir, Pilowitz et les autres amis admirèrent le goût exquis de miss Lovel, le comfort de son intérieur, et personne, excepté don Alvise, ne soupçonna que ce changement fût une réforme dans son budget.


VII.

Depuis le départ de mistress Hobbes, Centoni, devinant l’impatience où devait être Martha de recevoir des nouvelles d’Irlande, ne manquait pas de se trouver à la poste chaque matin à l’ouverture du guichet. Au bout de quinze jours, il rapporta du palais Grimani une lettre timbrée de Dublin. Miss Lovel ouvrit cette lettre avec quelque émotion ; sa main trembla un peu en rompant le cachet. Tandis qu’elle lisait, un léger nuage passa sur son front d’ivoire, et un imperceptible sourire de tristesse et de dédain releva les coins de ses lèvres.

— Est-ce que vous recevez de mauvaises nouvelles ? dit timidement Centoni.

— Oui, répondit Martha ; mistress Hobbes me raconte la mort d’une personne qui a dû beaucoup souffrir dans ses derniers momens.

— Mais, reprit Centoni en hésitant, y a-t-il en tout ceci quelque chose qui vous concerne ?

— Sans doute, je vais prendre le deuil.