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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/1048

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parlant aux étoiles, au clair de lune, au rossignol des bois, comme Marguerite parle aux fleurs du jardin, mais gardant à travers ses amours et les maléfices le calme et la pureté de l’âme. Personne, ni la Sontag ni Jenny Lind, n’égala jamais la Devrient dans cette scène. Elle en rendait jusqu’aux moindres nuances psychologiques et pittoresques, en composait tout le paysage.

O wie hell, die goldnen Sterne,
Mit wie reinem Glanz sie glüh’n.

« De quel doux éclat brillent les étoiles! » Elle phrasait ces mots de sa voix la plus claire, la plus limpide, répandant pour ainsi dire la lumière sur le tableau; puis, sondant à la fenêtre les profondeurs de l’horizon, interrogeant tous les présages, insensiblement elle rembrunissait le ton, troublée, épouvantée à l’idée de l’orage suspendu au-dessus de la tête de son fiancé.

Dort am Wald auch schwebt ein Heer
Dunkler Wolken dumpf und schwer.


« Une légion de nuages épais et lourds flotte là-bas sur la forêt. » Comme elle donnait aux notes leur valeur et leur expression, accentuait les intervalles, et quelle fidélité au texte! On pouvait la suivre sur la partition, elle n’ajoutait, n’enjolivait rien. Pas un portamento di voce, pas une respiration qui ne fût selon la lettre. On conserve encore en Allemagne la tradition de la manière dont elle distribuait cet admirable morceau dans ses moindres parties, opposant l’ombre à la lumière, rendant les formes, la couleur, n’omettant pas une nuance. J’entendais, il y a quelques mois, le Freischütz à Vienne. La Dustmann, qui jouait Agathe, n’était certes point une étoile extraordinaire; pas plus que Mme Carvalho, elle ne possédait le génie d’une Devrient, mais à défaut de génie elle avait l’âme et la voix d’une Allemande. Cette voix qui se tue à ce jeu n’est, j’en conviens, qu’une sonorité de plus mêlée aux sonorités instrumentales, mais quel la bémol! Allez entendre la Dustmann chanter la prière du troisième acte, et cette note vous fera rêver à je ne sais quelle musique du pays des fées. Les cloches de cristal qui sonnent éternellement sous le lac enchanté où s’est englouti le palais du roi Arthus doivent avoir de ces vibrations-là. De même pour l’allegro de la grande scène : tout le talent que Mme Miolan y déploie, tout cet art ne saurait remplacer la puissance. Faites dire cet allegro par Vieux-temps, Sivori, Joachim, par n’importe quel grand violoniste : ce sera sans aucun doute admirable de netteté, de dessin, ni plus ni moins admirable que les exercices de Mme Miolan; mais Weber ne veut point là un violon, il réclame une voix, eine ganze Stimme, comme disent les Allemands, qui jamais ne comprendront le chant isolé, le chant proprement dit, l’art des Crescentini et des anciens, et qui n’en possèdent pas moins à part eux d’au-