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tions ; de jour en jour, en l’attendant, on remettait la représentation. Où pouvait-elle s’être égarée? dans quels océans, sous quels cieux et sous quelle gare? Enfin elle arriva, mais si cahotée par les vents qui règnent dans la Manche, si bouleversée du mal de mer, qu’elle en a l’œil tout brouillé, et qu’il faudrait presque l’opérer de la cataracte.

Goethe, au plein d’une jeunesse fort agitée, voulant incarner en diverses figures les expériences déjà nombreuses qu’il avait faites du cœur des femmes, écrivit son Wilhelm Meister. C’est le tableau poétique de sa course au début de l’existence, le roman de ses écoles buissonnières. Les caractères féminins sont multipliés à plaisir, tous tranchés, opposés les uns aux autres, n’ayant de commun que l’amour que ces diverses natures inspirent à Wilhelm, ou du moins ressentent pour lui. Ses premiers feux s’adressent à la comédienne Marianne, qui, de son côté, s’amourache passionnément, bonne et loyale créature, avec le cœur sur la main, mais sans vigueur d’intelligence, sans force pour résister aux tourmens de l’existence. Marianne n’a rien à se reprocher vis-à-vis de son amant, puisque la faute qu’elle a commise a précédé sa liaison avec lui. Wilhelm, sur un malentendu, l’abandonne, et la pauvre fille en meurt de désespoir en laissant un fils. Derrière Marianne se dresse, faisant ombre, une de ces figures équivoques qui d’ordinaire accompagnent les vierges folles, Barbara, sœur et commère de la Marthe de Faust. Goethe excelle à fixer d’un trait ces profils picaresques. Celle-ci touche à Marianne de plus près que Marthe à Gretchen. Marthe n’a point de cœur, Barbara chérit Marianne, et le prouve par cette féroce apostrophe qu’elle lance contre les fils de famille dont le libertinage et l’oisiveté se font un jeu de l’honneur et de la vie des pauvres jeunes filles que le hasard pousse sur leur chemin. Marianne morte, nous n’en avons pas fini avec les comédiennes. C’était alors comme aujourd’hui, et le commerce avec les demoiselles de théâtre devait nécessairement entrer pour la plus grosse part dans tout programme d’éducation, de formation et d’apprentissage. Voici d’abord la jalouse, la fiévreuse Aurélie, plantée là par Lothario et dévorant son affront avec furie, puis la sentimentale Mme Melina, sublime, mais insupportable, puis enfin, en opposition à toutes ces natures, prenant chacune plus ou moins la vie et l’amour au sérieux, Philine, la grisette dramatique par excellence. Cependant, après s’être jeté à corps perdu dans la vie de théâtre, Wilhelm Meister en touche les misères, le néant et s’en dégoûte. Un moment le cercle de la comtesse l’attire; il y cherche le bon goût, la distinction de l’âme, et n’y trouve que formalisme, étiquette et vanité. Adieu, paillons, clinquans, fausses apparences! l’idée du beau reconquiert ses droits, et le voilà de nouveau en campagne; mais avant d’atteindre le beau, il convient de passer par l’utile, un principe que nous n’avons pas encore abordé, et que représente Thérèse. — J’insiste sur cette analyse des caractères du roman pour montrer à quel point ce sujet était incompatible avec le théâtre, surtout avec l’opéra-comique. On en