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sucre qu’ils y ont établies les ont retenus. Le gouvernement envoya d’abord contre eux des soldats pour les contraindre à déguerpir, mais ils résistèrent à la force et barricadèrent leurs rues. Le roi, qui est d’un caractère fort doux, n’a pas voulu qu’on poussât les choses à l’extrême, et les a laissés dans leur résidence de prédilection ; mais il a ordonné de creuser un canal qui doit traverser la ville chinoise, ce qui chassera les habitans. Du reste le mouvement commercial de Mandalay ne peut manquer de les attirer ; ils ont déjà commencé à y émigrer. Une partie de l’emplacement d’Amarapoura a été livrée à la culture de l’indigo, et il est probable que dans peu de temps quelques pagodes seront les seuls témoignages de l’existence de cette capitale éphémère.

La ville de Mandalay, qui est aujourd’hui la capitale de l’empire, est peu distante d’Amarapoura. Le trajet est assez long par eau à cause des sinuosités du fleuve, mais par terre il est très court. C’est pour n’être pas offusqué par l’odieuse fumée des vapeurs anglais que le roi actuel a choisi sa nouvelle résidence. Cette fumée, qu’on avait aperçue des fenêtres du palais à Amarapoura lors de la dernière guerre, avait paru la réalisation d’un oracle d’après lequel la capitale devait périr quand on y verrait des navires sans rames ni voiles : ces navires ne peuvent être évidemment que des steamers. Le roi, en déplaçant sa capitale, eut soin de mettre entre la nouvelle ville et le fleuve une immense plaine, ancienne rizière nue, triste, sablonneuse, sans arbres, dévorée par les rayons d’un soleil brûlant. Mandalay est bâti au pied d’une colline qui se relie à tout un pays de montagnes. Ce nom signifie, dit-on, « le lieu désigné par les Mantras (formules magiques) ; » mais le roi a donné à sa capitale le nom mystérieux et sacré de « terre des joyaux. » On assure que Gautama a consacré ce lieu par le séjour qu’il y a fait sous diverses formes, et a même annoncé qu’on y bâtirait une ville. Si les heureux présages ne manquent pas, des bruits sinistres, des augures défavorables qu’on n’ose expliquer tout haut, mais qui se propagent à voix basse, n’en circulent pas moins, et laissent entrevoir un triste avenir. D’abord, lors de la fondation de la ville, pour avoir le cordon avec lequel on trace l’enceinte de toute cité nouvelle, et qui doit être en soie pure, on eut l’imprudence de s’adresser à un Juif de Pologne ou de Galicie, qui en fournit un à un prix très modéré ; mais ce fil était moitié laine ! À ce fâcheux augure s’ajoute le bruit d’après lequel les Anglais auraient fabriqué à Rangoun un petit modèle de la ville de Mandalay, l’auraient placé derrière la grande pagode, dans la plaine où se trouve le camp de manœuvres de leurs troupes, et l’auraient fait détruire par leurs soldats, voyant dans cet exercice une utile préparation et un