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et de nombreuses pagodes : « innombrables comme les pagodes de Pagan, » disent les Birmans en manière de proverbe. Tout y rappelle le souvenir des rois et des héros qui l’habitèrent : on y trouve le poisson d’or de Noatasa, le cheval ailé de Yansitta, et la trace d’une foule de croyances religieuses et de traditions nationales.

A trois journées de Pagan, on rencontre la jonction de l’Iraouaddy et de son principal affluent, le Kyendwen, et une courte navigation conduit bientôt le voyageur à Ava, « la ville des joyaux, » devenue capitale après quelques essais infructueux tentés pour éloigner des bords de l’Iraouaddy le siège de l’empire. Ce lieu, où résidèrent pendant quatre cents ans de puissans souverains, d’où Alompra partait pour ses conquêtes, n’est plus aujourd’hui qu’un amas de décombres. A peine y rencontre-t-on quelques moines qui n’ont pas voulu déserter leur monastère, quelques familles qui ont établi leurs huttes parmi les ruines et font paître leurs vaches dans les parcs abandonnés. Au milieu de cette désolation, le pied heurte à chaque pas des fragmens de sculptures où se lisent les titres fastueux des souverains du Birma et où sont retracées des scènes qui les représentent dans l’appareil de leur grandeur. En face d’Ava, de l’autre côté du fleuve, se dressent les collines pittoresques de Sagaïn, qui fut à certaines époques le centre d’un petit royaume indépendant. On montre encore sur la porte de la pagode l’entaille faite par la hache du roi de Manipour. En 1733, ce roi, étant en guerre avec celui d’Ava, s’était avancé jusqu’à Sagaïn ; il n’avait plus qu’à passer le fleuve pour être à Ava. Une crue subite et extraordinaire de l’Iraouaddy l’en empêcha ; de rage, il lança sa hache d’armes dans le poteau sculpté de la porte de la pagode.

Bien qu’Ava ait été plusieurs fois conquis et possédé par les ennemis, ce n’est pas à la suite de quelque désastre qu’il a été abandonné, comme l’ont été d’autres villes. C’est volontairement que les rois de Birma ont renoncé à cette résidence. Bodo, de la famille d’Alompra, ayant fondé Amarapoura (la ville immortelle) à peu de distance au-dessus d’Ava, les souverains hésitèrent quelque temps entre les deux villes. Amarapoura fut définitivement adopté, mais ce ne fut pas pour longtemps. Le roi actuel l’a abandonné, et cette « ville immortelle, » qui n’existait pas encore il y a cent ans, est aujourd’hui déserte et en ruines. Les édifices en sont moins dégradés que ceux d’Ava, parce que l’abandon date d’un temps plus rapproché ; on y aperçoit çà et là quelques rares maisons encore habitées, mais qui bientôt seront désertes à leur tour. Le quartier chinois seul est resté dans son état primitif : ses habitans ont refusé en masse de l’abandonner ; la magnificence du temple qu’ils y ont bâti à grands frais et dont ils sont très fiers, sans doute aussi les distilleries de