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famille royale qu’il n’existe aucun pouvoir capable de mettre un frein à ces ambitions. Il n’existe point d’aristocratie, et les titres de noblesse dérisoires accordés par le roi ne sont qu’un impôt levé sur la richesse vaniteuse. Les fonctionnaires, qui sont tous à la nomination du roi et révocables à sa volonté, n’ont aucune indépendance et aucune initiative ; les princes royaux eux-mêmes ne doivent leur rang qu’à la faveur du souverain, et, comme ils sont très nombreux, leur descendance finit toujours par se perdre dans la masse du peuple. C’est peut-être par cette raison que la dignité royale excite de si ardentes convoitises : c’est du roi que tout émane, à lui que tout aboutit, bien qu’il exerce le pouvoir avec le concours de quatre ministres, de son conseil privé composé de quatre personnes, et du tribunal suprême qui compte, quatre juges et quatre assesseurs. Depuis ce chef suprême jusqu’au plus petit chef de village, il y a toute une hiérarchie de fonctionnaires dont le gouverneur de province occupe le milieu. Les gouverneurs de province, au nombre de vingt, ont chacun un conseil formé des inspecteurs des eaux, des impôts et des douanes, et au-dessous d’eux un lieutenant, les chefs de district et les magistrats locaux. Chaque maison est tenue de payer une contribution proportionnelle à son importance, et le produit des impôts est centralisé entre les mains du roi, qui remet aux princes la part qui leur revient.

La servilité et l’insolence, deux traits de caractère qui s’associent très bien, distinguent ce gouvernement. Un soir un particulier donnait une représentation qui avait attiré une grande foule, vient à passer un prince qui sortait d’une orgie et rentrait au palais. Sans dire gare, il pousse son cheval à travers cette multitude, et ses acolytes donnent des coups de bâton à droite et à gauche pour faire faire place à leur maître. Personne ne se plaignit, on trouva la chose toute naturelle ; mais ce même personnage qui traitait ainsi la foule, s’il avait été condamné par le roi à recevoir des coups de rotin, ne se serait guère montré moins fier d’être bâtonné par ordre du souverain qu’il ne l’était de faire bâtonner les autres, car les princes eux-mêmes et les hauts dignitaires sont exposés à ce genre de correction, qui fut, pendant le séjour de M. Bastian, appliqué au gouverneur de Mandalay. Le voyageur, avant d’habiter la ville royale, avait eu à comparaître devant ce magistrat, qui lui avait témoigné de la bienveillance, tout en affectant de grands airs. Peu de jours après son entrée dans le palais, M. Bastian apprit qu’il avait été récemment bâtonné. Il avait eu des démêlés avec un des ministres à la suite d’une querelle qui s’était élevée entre leurs ouvriers respectifs occupés aux travaux d’un canal dont chacun d’eux avait à faire exécuter une portion. Le ministre, qui était le plus haut