Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/118

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fournir encore une nouvelle étape. Ils n’avaient rien de semblable à craindre, vivant sous la domination anglaise ; mais ils avaient toujours présent à l’esprit le système birman, d’après lequel le particulier est toujours à la merci des autorités.

Par là s’expliquent suffisamment la dépopulation et la terreur auxquelles le pays est en proie ; le pouvoir enlève souvent ce que les voleurs ont laissé, et ceux qui n’ont plus rien se livrent au brigandage. Aussi tout étranger inspire-t-il de la méfiance, de sorte que, pour sa sûreté autant que pour la sécurité des habitans, il est obligé de prendre une escorte à chaque village. Cette escorte est une sorte de laisser-passer ou de passeport vivant : la difficulté est souvent de se la procurer. En quittant une station, M. Bastian se voit accompagné d’un bambin. Il le gourmande en lui demandant comment il venait se présenter pour servir d’escorte à son âge. « Ah ! gracieux maître, s’écria l’enfant en pleurant, dans notre village il n’y a que deux maisons, tout le monde est absent, et je suis resté seul. » Ailleurs c’est une vieille femme, seule personne qu’on eût trouvée dans les quatre maisons d’un village. On n’avait rien pu obtenir d’elle, mais on l’avait prise pour accompagner la caravane. En voyant son escorte, M. Bastian ne put s’empêcher de rire, et la congédia malgré les murmures de ses compagnons, qui voulaient absolument avoir une escorte, quelle qu’elle fût. La sécurité est donc médiocre dans les états du « monarque aux pieds d’or, du grand et hardi conquérant du monde. » Le gouvernement est impuissant à empêcher le mal et à faire efficacement le bien. Quelle que puisse être la part des individus et celle des lois dans cet état de choses, il est évident qu’il en faut faire remonter la cause première au peuple lui-même et au caractère national ; le climat peut y contribuer aussi pour sa part. Un climat énervant, un sol prodigieusement fertile, qui n’impose pas à l’homme une lutte de tous les instans avec la nature, portent à l’insouciance ; on vit au jour le jour, on se contente de satisfaire aux besoins du moment sans songer à l’avenir. Lorsqu’à une telle situation viennent s’ajouter un gouvernement autocratique et spoliateur, une religion de renoncement et d’abstinence, on comprend que l’activité humaine et l’esprit d’initiative soient réduits aux plus humbles proportions. Aussi est-il intéressant d’étudier à ce point de vue les mœurs, le genre de vie, les occupations des Birmans, moins pour connaître des particularités curieuses que pour se rendre compte des influences qui déterminent les destinées des peuples.

Malgré une certaine impétuosité dans les passions, un goût prononcé pour l’éclat, le bruit, le mouvement, les Birmans ont un genre de vie très simple, et l’on peut dire qu’ils ne connaissent pas la rude épreuve du travail. De là l’infériorité de l’industrie et