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jardin de plaisance que le propriétaire, un des princes de la famille royale, laissait à la disposition du public ; un ruisseau passait tout à côté, et permettait à M. Bastian de prendre un bain tous les jours, pratique d’hygiène à laquelle il attachait le plus grand prix. Les Birmans pour se rafraîchir se contentent de contempler tracée sur le sable la figure d’une grenouille, symbole de la fraîcheur ; mais les Européens sont plus exigeans. Si ce modeste ruisseau offrait bien moins d’eau que l’Iraouaddy, en revanche il contenait bien moins de crocodiles. Nul logement ne paraissait plus approprié aux goûts et aux desseins du voyageur ; celui-ci s’empressa de conclure avec le propriétaire, et s’installa immédiatement. Le transport des bagages fut marqué par les difficultés et les incidens sans nombre qui signalent les déplacemens dans ce pays : le docteur les connaissait déjà, en ayant fait l’épreuve lors de son arrivée à Mandalay.

M. Bastian se croyait hors d’embarras ; ce fut précisément alors que les gens du roi commencèrent à le harceler. On avait observé toutes ses allées et venues ; cette retraite solitaire dans un lieu écarté, loin de la ville, avait augmenté les soupçons. On ne doutait point qu’une manière d’agir aussi mystérieuse ne cachât quelque profond dessein. Il n’avait pas plus tôt pris possession de son nouveau domicile et commencé ses études sous la direction de son voisin l’abbé, qu’on lui demanda ses papiers. Il dut aller trouver le magistrat de Mandalay, qui vint de sa personne à Kabain, se rendit dans la demeure de M. Bastian, examina ses papiers et les trouva en règle. Il lui donna néanmoins à entendre qu’il fallait retourner en ville. L’avis fut peu après renouvelé d’une manière plus positive et plus pressante, qui déjà équivalait à un ordre. Plusieurs messages encore plus impératifs arrivèrent de la part du consul des étrangers, et M. Bastian eut grand’peine à se défendre d’être entraîné de force par les gens qui lui apportaient ces missives. Enfin il lui vint un ordre formel d’avoir à se rendre à Mandalay et auprès du roi, qui voulait le voir. Il n’y avait plus à balancer. M. Bastian songea un moment à se jeter dans le monastère en invoquant le droit d’asile ; mais ce moyen désespéré ne l’eût pas mené bien loin et eût pu lui être fatal. Il se soumit aux injonctions du roi, et après avoir repoussé le conseil de ses amis arméniens, qui dès son arrivée l’avaient engagé à demander une audience, il se vit contraint de se présenter devant sa majesté birmane.

L’audience eut une certaine solennité. Dès que le roi Mendun-Min parut, tous les courtisans, qui étaient assis en ordre, se jetèrent à genoux les coudes et la face contre terre. Pour M. Bastian, on ne le gêna pas trop par toutes les minuties de l’étiquette birmane. On exigea seulement qu’il entrât nu-pieds. Il n’est pas permis d’être