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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/129

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chaussé dans la demeure du roi ni dans les pagodes, et en visitant un de ces lieux sacrés M. Bastian fut obligé d’ôter ses chaussures, tant les moines se montraient scandalisés. De plus on prit toutes les précautions imaginables pour que le roi ne vît pas les pieds de M. Bastian. Les pieds font horreur aux Birmans : leurs maisons n’ont généralement qu’un étage, afin qu’on ne puisse pas marcher au-dessus d’eux. Un moine de Rangoun, appelé auprès d’un malade, ne voulut jamais entrer par l’escalier extérieur de la maison, parce qu’au-dessus de cet escalier il y avait un balcon ; il fallut lui apporter une échelle. Dans la ville royale, il n’est pas permis de dormir les pieds tournés du côté des appartemens du roi, et, quand M. Bastian y habitait, un Birman qui le venait voir remarqua avec effroi que les pieds du lit étaient précisément dans cette direction ; il fallut s’empresser de déplacer ce lit. Il n’est pas non plus bienséant de dormir les pieds tournés vers l’orient, car c’est la région où le soleil se lève, ni vers l’occident, car de ce côté se trouve l’arbre sous lequel Gautama est devenu bouddha. En un mot, c’est un manque de respect très grave que d’avoir les pieds tournés vers quelqu’un ou vers quelque chose. On prit donc des mesures pour que le monarque aux pieds d’or ne vît pas les pieds de chair de son visiteur ; ces mesures ne furent pas toutefois si bien prises qu’il ne les aperçût quelque peu : aussi eut-on soin de faire disparaître cette incorrection dans les audiences suivantes.

L’entretien se fit au moyen d’un interprète. Le roi aurait désiré une conversation directe, mais M. Bastian ne possédait pas assez bien la langue birmane, il était surtout trop peu familiarisé avec le dialecte du nord et trop ignorant de la langue toute spéciale qui se parle à la cour, pour soutenir une telle conversation. Après avoir, étudié attentivement la physionomie de l’étranger, le roi lui fit diverses questions, et en particulier lui demanda quel était le but de son voyage. M. Bastian répondit que son intention était d’étudier le bouddhisme, et que le Birma lui avait paru le pays le plus propre à cette étude, comme étant celui où le bouddhisme a le mieux conservé sa pureté. Cette réponse alla au cœur de Mendun-Min, dont M. Bastian avait touché la fibre patriotique et religieuse. Le roi demanda alors quel plan d’études M. Bastian se proposait de suivre ; le voyageur répondit qu’il n’en avait point d’arrêté, et crut bien faire de manifester son intention de visiter Tagoung, premier siège de la puissance birmane, et les régions septentrionales. Cette déclaration ne plut pas au roi, qui était décidé à empêcher toute excursion dans le nord. « Ah ! Tagoung ! s’écria-t-il, ce fut jadis, il est vrai, une résidence royale ; mais qu’est-ce aujourd’hui ? un amas de décombres. Il n’y a là rien à voir, rien. » M. Bastian comprit