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formée contre nous à la fin du dernier siècle. Celle-ci, dirigée non-seulement contre les excès, mais contre les principes de la révolution française (car les ennemis de la convention nationale avaient commencé par mettre Lafayette dans un cachot), s’était réjouie de trouver dans quelques provocations insensées un argument, un prétexte à l’appui de l’insolente prétention de venir chez nous régler nos affaires. Dieu n’a pas voulu cependant que, tant que la révolution seule fut en jeu, elle succombât dans la lutte. Défendue par elle-même, sans autre protection que celle du peuple qu’elle venait affranchir, elle a résisté. Honneur à elle ! Quoi qu’elle ait pu faire, elle a du moins sauvé la patrie.

Il n’en devait plus être ainsi du jour où l’esprit de la révolution eut fait alliance avec un autre esprit. Le consulat n’était pas nécessairement le terme de la liberté ; on peut donc dire que jusqu’à la bataille de Marengo la situation de la France en Europe n’avait pas changé, et que la guerre s’était faite pour la même cause ; mais après 1800 cette cause cesse peu à peu d’être la seule ou même la principale que nous ayons à défendre.

Les calculs vastes et profonds d’une politique personnelle, les vues d’une ambition grandiose, l’amour immodéré de la gloire et la passion des luttes du génie et de la fortune deviennent de plus en plus la raison et le but des batailles. Sans doute une nation ne se transforme jamais entièrement. Tous ses souvenirs ne s’effacent pas dans une inclination nouvelle, et la France, en se jetant dans les bras d’un séducteur tout-puissant, n’avait pu oublier onze années d’obéissance à ses propres inspirations. La dictature, lorsqu’elle est déposée en d’habiles mains, n’a garde de négliger tout ce que l’esprit public conserve du passé, si elle y trouve pour elle-même des moyens de force et d’action, et l’empire ne s’abstint pas de rappeler dans l’occasion à l’étranger que les couleurs de son drapeau étaient celles de la révolution. Toutes les fois que sa puissance n’en a pas dû souffrir, il a fait marcher quelques-unes des idées de 89 à la suite de ses victoires. Ainsi des peuples excédés du fardeau d’un ancien régime immobile ont pu accueillir à sa voix le changement pour l’amour du changement même, et applaudir à quelques réformes inspirées par l’esprit moderne, encore qu’imposées par la victoire. On a pu leur persuader que, par une nécessité temporaire, la révolution s’était faite homme ; mais plus le temps a duré, plus l’illusion s’est dissipée, et non-seulement les peuples désabusés, mais les rois eux-mêmes, les rois, naturellement plus enclins à la haine de la révolution que du pouvoir absolu, ont compris que le pouvoir absolu était capable aussi de les inquiéter sur leur trône et de bouleverser l’ordre européen. Ils ont fini par le