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qu’il s’était trop avancé, et garda le silence ; mais le roi ne laissa pas tomber l’entretien : « J’ai une offre à te faire, dit-il ; pour étudier le bouddhisme, il n’y a pas de meilleur pays que Birma ; dans tout Birma, il n’y a pas de meilleur endroit que Mandalay ; dans Mandalay, il n’y en pas de meilleur que mon palais. Il y a dans mon palais une habitation toute prête : je fournirai des livres et des maîtres, je ferai tout le nécessaire. Est-ce bien comme cela, oui ou non ? » Tous les courtisans portaient une secrète envie à cet étranger, objet d’une manifestation si extraordinaire de la munificence royale. M. Bastian, qui avait redouté l’hospitalité arménienne, n’envisageait pas d’un œil plus satisfait l’hospitalité royale, et il aurait bien désiré pouvoir se soustraire à de si grandes marques de bonté ou de défiance ; mais quel moyen de le faire ? Et l’interprète était là qui pressait pour avoir la réponse. « Oui ou non ? Sa majesté n’est pas accoutumée à attendre. » Le choix n’était guère possible. M. Bastian prononça le « oui » fatal, et le roi enchanté reprit : « Moi-même, je m’intéresserai à tes études, et j’en suivrai les progrès ; » puis il se retira heureux d’avoir rencontré un étranger si zélé pour le bouddhisme, plus heureux peut-être encore de tenir entre ses mains un homme dont il y aurait sans doute un bon parti à tirer, et dont les véritables intentions ne paraissaient pas très claires. M. Bastian fut conduit dans la demeure qu’on lui avait assignée. En franchissant le seuil de la ville royale, il vit que son parasol avait été mêlé par mégarde à ses bagages. Heureusement nul autre que lui et son fidèle domestique Moung-Schweh ne s’en était aperçu : il s’empressa d’empaqueter l’objet prohibé et de faire disparaître toute trace d’un crime de lèse-majesté même involontaire ; puis il prit possession de son nouveau domicile. La maison était peu distante des appartemens royaux et avait été précédemment occupée par le fils aîné du roi ; elle était construite en bambou, distribuée en plusieurs pièces avec cuisine et office par derrière, et présentait tout le comfort qu’on peut trouver dans un palais birman. Un jardin avec un bassin en dépendait ; M. Bastian pouvait se livrer à son aise aux divertissemens de la promenade et du bain. Ces immersions complètes étonnaient fort les Birmans, pour lesquels l’opération de se laver la tête est une cérémonie très grave, qui ne s’accomplit pas tous les jours ; mais il faut bien passer quelques fantaisies à un bizarre koula (étranger).

Un des princes « mangeurs de villes, » Nyoungyan-Minlha, avait été chargé de prendre soin de M. Bastian, de recevoir ses réclamations, d’y faire droit autant que cela était conforme aux usages de la cour, en un mot d’être son protecteur, son gardien, son surveillant. Dès que l’hôte royal fut installé, le prince s’empressa de lui