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koula ont des pouvoirs particuliers, et c’est le principal motif de l’aversion qu’ils ont pour eux. Aussi, quand ils en rencontrent un d’humeur accommodante et d’un caractère bienveillant, ils s’attachent à lui en raison des ressources extraordinaires qu’ils lui supposent. C’est ce qui arriva à M. Bastian : on voulut le forcer à faire de la médecine, bien qu’il déclarât constamment qu’il ne voulait ni ne pouvait en faire.

Dans les premiers temps de son séjour à Mandalay, M. Bastian n’avait pu refuser de donner ses soins à quelques personnes qui les avaient réclamés. Il lui fallut commencer un semblant de cure pour un enfant qu’on lui présenta, qui paraissait sourd-muet et qui par conséquent ne pouvait être guéri. Les parens s’imaginèrent sur-le-champ que leur enfant commençait à percevoir les sons. La mère avait ses entrées dans le harem royal ; on comprend que par ce canal le bruit d’une cure si merveilleuse ne tarda pas à faire son chemin en haut lieu. Ainsi M. Bastian, qui arrivait à Mandalay avec la réputation d’un explorateur très hardi et assez dangereux, dont les découvertes pouvaient compromettre le salut de l’empire, n’y était pas plus tôt installé qu’il avait déjà conquis celle d’un fameux médecin à qui aucun des secrets de son art n’était inconnu, qui surtout avait des remèdes infaillibles pour guérir la surdité, — et de tout cela il ne savait pas un mot. Bientôt on vit tous les sourds que renfermait la ville royale affluer chez M. Bastian, le prince lui-même vint se faire traiter. M. Bastian eut promptement raison de cette prétendue surdité ; mais le prince ne se découragea pas et amena des amis ; des soldats venaient pour ainsi dire par escouades se faire guérir par ordre du roi. Bien des gens s’imaginèrent sans doute avoir l’oreille dure parce qu’ils pensaient avoir le remède à leur portée, ou pour avoir le privilège d’entrer en relation avec un si habile homme. M. Bastian était fort embarrassé : il déclarait sans cesse que son intention n’était point de faire de la médecine ; cependant il ne pouvait refuser au prince ses bons offices, ni repousser de vrais malades qui imploraient ses soins. Tantôt il s’abstenait de toute prescription médicale, tantôt il ordonnait des remèdes dont l’exécution se trouvait impossible : il prescrivit une fois des sangsues, et le malade se déclara pleinement guéri, bien qu’il se fût gardé de suivre l’ordonnance, car les Birmans ont horreur de faire couler volontairement leur sang. Enfin, et c’était là le but auquel tendait tout ce manège, le roi dans une audience pria M. Bastian de guérir deux de ses femmes atteintes d’une difficulté de l’ouïe. Déjà dans de précédentes audiences il s’était enquis de diverses maladies, spécialement de la surdité, et du traitement à leur appliquer. M. Bastian n’y avait pas pris garde ; il n’avait vu là