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qu’une curiosité sans conséquence, et avait fait du reste des réponses assez peu encourageantes, puisqu’il avait déclaré que la surdité est presque toujours incurable ; mais cette fois il se récria, rappela qu’il était venu pour étudier le bouddhisme et non pour faire de la médecine, qu’il manquait de médicamens et ne pouvait entreprendre des traitemens longs et compliqués. Tout fut inutile : les malades furent amenées par un eunuque dans la demeure du prince (voisine, comme on l’a vu, de celle de M. Bastian) pour être examinées. Le médecin ne put que représenter de nouveau l’impuissance où il était de les guérir, vu les circonstances et la gravité du mal ; les malheureuses, qui s’étaient flattées d’une guérison certaine, s’abandonnèrent alors à un tel désespoir que M. Bastian, touché, promit de les voir de temps à autre et de faire ce que les moyens d’action les plus restreints, vu le manque de médicamens et d’appareils, lui permettraient. Depuis lors c’étaient chaque jour des messages de la part des épouses royales, avec force présens en cigares et en fruits pour M. Bastian, remercîmens de ce qui avait été fait, prière de faire encore davantage. M. Bastian, entravé dans ses travaux, était contrarié au plus haut degré.

Un jour une servante vint chercher des médicamens pour les deux épouses royales. M. Bastian en prépara qu’il fit porter par son domestique accompagné de la femme de chambre. Dans le trajet, le domestique, un peu surexcité, gesticula si bien qu’il cassa le flacon. Cette aventure fit grand bruit. Une médecine qui fait ainsi éclater le vase qui la renferme doit être d’une force prodigieuse ! On demanda à M. Bastian d’en préparer une autre ; il le fit, et le résultat fut merveilleux ; les deux épouses royales entendirent le rouet de leurs servantes. Le harem fut dans la joie, tout allait pour le mieux ; mais à ce moment il se produisit un nouvel incident dans la carrière médicale de M. Bastian. Le roi lui demanda de soigner le secrétaire d’un de ses plus hauts dignitaires, dont la vie était fort précieuse et qui était depuis longtemps retenu dans son lit par une maladie à laquelle les médecins birmans n’entendaient rien. M. Bastian promit de dire quelle était la maladie, mais il s’empressa de déclarer à l’avance qu’il ne pourrait faire davantage. Lorsqu’il eut reconnu que le patient était atteint de la pierre, on le supplia d’entreprendre cette cure ; il s’en défendit comme d’une chose impossible. « Mais le roi le veut, » lui dit le fils aîné du monarque. M. Bastian épuisa toutes les expressions les plus respectueuses du langage de la cour pour lui faire entendre qu’il est des choses qu’on ne peut faire, quand bien même le roi l’exige.

On commençait à murmurer et à s’indigner qu’un koula, (un barbare, osât contrevenir aux ordres du roi, et eût l’insolence de