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et y remonte trois jours après à midi. Un coup de canon annoncé chaque fois son arrivée et son départ. À cette époque, les Birmans s’envoient mutuellement des vases pleins de fleurs et de fruits artificiels, symboles de l’attachement et du dévouement qu’ils se portent. Le premier jour, le grand plaisir est de s’asperger où même de se plonger les uns les autres dans des bassins remplis d’eau. Comme la fête coïncide avec le commencement de la saison des pluies et avec la première crue de l’Iraouaddy, cet étrange divertissement a sans doute pour objet de figurer l’inondation bienfaisante qui va sauvée le pays des horreurs de la sécheresse.

Cette approche de la saison des pluies avertissait M. Bastian qu’il était temps de partir. Il obtint une audience de congé, offrit au roi le kadaou obligatoire, ce vase de fleurs et de fruits artificiels qui est un signe de soumission, et reçut en échange une bague ornée de rubis. Il fit ensuite ses adieux aux nombreux visiteurs qui avaient cultivé son amitié, leur laissant des présens comme souvenir de son passage ; il se montra particulièrement libéral envers le professeur, qui avait des titres spéciaux à sa reconnaissance ; puis il partit pour les régions du sud-ouest, muni de lettres de recommandation de son prince, dont il devait traverser le domaine, et d’un passeport sur feuille de palmier délivré par le tribunal suprême.

M. Bastian, étant alors descendu jusqu’à Ava, prit la route de terre le long des montagnes des Schan, qui occupent la partie orientale de l’empire ; il passa près des ruines de Pinlay, où se maintint l’indépendance de Birma après le désastre de Pagan, puis traversa la province de Nyaoungyam, appartenant au prince qui l’avait protégé à Mandalay, et dont la capitale renferme quarante maisons et trois monastères. Il passa ensuite par la ville plus importante de Pibaeh, pourvue de mille maisons, trente pagodes et dix monastères. Tout ce voyage s’effectua dans d’assez mauvaises conditions, par des chemins très peu frayés, à travers des bois épais, des plaines de sable, des marais et des fondrières, jusqu’au village de Zinsaeh, point où le fleuve Sittang commence à devenir navigable. Là M. Bastian changea de moyen de transport ; il loua une embarcation. Une journée de navigation entre deux rives constamment bordées de forêts sombres et silencieuses le mena à la frontière anglaise, et quelques jours après il arrivait à Tongou, situé sur le Sittang, à, quelque distance du bord, tandis que les Européens ont construit leurs demeures sur la rive même. Après avoir fait dans cette ville un séjour de deux semaines qui lui permit de continuer ses études’ bouddhiques, le voyageur remonta dans son embarcation munie d’un toit, car on était en juillet, et c’était la saison pluvieuse. Trois jours de navigation l’amenèrent à Schwegyin, situé dans une vallée