Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/144

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fertile qu’entourent des collines pittoresques couvertes de bois, et, continuant son voyage après un nouveau séjour dans cette ville, il arrivait bientôt à Sittang, qui porte le même nom que le fleuve.

À ce moment, l’inondation était complète : tout le Pégou était sous l’eau : M. Bastian s’embarqua de nouveau et navigua sur une vaste mer. Tantôt il suivait les canaux et les cours d’eau, tantôt il les croisait et traversait les campagnes et les forêts submergées, passant à la hauteur des fenêtres des maisons, effleurant les branches des arbres et s’y embarrassant quelquefois. Son embarcation fit eau, à tel point qu’il fut obligé de la remplacer dans un village où il ne parvint pas sans peine ; la pluie l’inondait de ses torrens ; la fièvre commençait à s’emparer de lui. C’est en cet état qu’il se dirigea vers la chaîne de montagnes au sein de laquelle il vit peu à peu se dessiner Satoung, où les dômes brillans des pagodes se détachaient sur le fond noir des forêts. De cette antique capitale du Pégou, M. Bastian se rendit à Molmein ; puis, après s’y être remis de ses fatigues et avoir formé de précieuses amitiés au sein de la nombreuse colonie européenne, il remonta le Salwhen pendant trois jours, et, quittant le fleuve, gagna à dos d’éléphant la frontière siamoise pour chercher chez un autre peuple un nouveau sujet d’études.

Malgré les vices du gouvernement et la mollesse du peuple, le Birma était il y a cinq ans, à l’époque où M. Bastian le visita, dans une situation relativement prospère : le commerce paraissait en train de se développer peu à peu, la famille royale vivait en paix sous la direction d’un chef débonnaire ; mais alors les fils du souverain étaient fort jeunes ; avec l’âge, l’ambition s’est éveillée en eux, et elle vient de se manifester d’une manière terrible. Quelques-uns des personnages que M. Bastian nous fait connaître ont déjà disparu : le prince Tinke-Min, qui avait mis le roi actuel sur le trône et que nous avons vu être le protecteur d’un manufacturier français établi à Mandalay, ce prince qui était regardé par la cour et les populations comme l’héritier de la couronne, a été assassiné ; le fils aîné du roi a eu le même sort. Un des plus jeunes fils du roi, que les journaux de l’Inde désignent sous le nom de Mungon-Min, privé par son âge de l’espoir de régner, a ourdi un complot contre ses aînés ; outre le prince héritier et le prince royal, un autre fils du roi et plusieurs ministres ont été victimes de cet attentat. Le roi lui-même n’a dû son salut qu’à la fuite et au dévouement d’un serviteur ; il a été fait prisonnier, mais délivré ensuite par ses amis. Le fils du prince Tinke-Min, héritier des droits de son père, se prépare à soumettre les révoltés, dont le but n’a pas été atteint malgré tous les meurtres qu’ils ont commis, et qui