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connue. On met une toupie sur un plan horizontal, et, pendant qu’elle dort, on incline le plan du sud au nord, la toupie se meut aussitôt de l’est à l’ouest ; si l’on incline le plan de l’est à l’ouest, elle se meut du sud au nord. Ainsi la composante de la gravité fait marcher la toupie dans le sens normal à cette composante même. Le phénomène n’a lieu, bien entendu, que si la toupie tourne, et rien de semblable ne se manifeste, si elle est en repos. Placés à ce point de vue, nous comprenons sans peine comment la rotation des atomes éthérés rend compte de leur déplacement latéral dans l’ébranlement lumineux ; leur vibration transversale nous apparaît non plus seulement comme possible, mais bien comme nécessaire. C’est au livre du père Secchi, à l’Unité des forces physiques, que nous empruntons cette explication ; le parti que le savant abbé tire de la cotation des atomes éthérés n’est pas un des côtés les moins intéressans de son travail[1].

Quelle que soit d’ailleurs la raison que l’on donne du mouvement transversal de l’onde lumineuse, le fait en lui-même est certain ; il a été mis en pleine évidence par les phénomènes de la polarisation. Quand un rayon d’une seule couleur, un rayon rouge par exemple, est réfléchi par une lame de verre, de telle sorte qu’il fasse avec cette lame un angle de 36 degrés, il acquiert par cette seule circonstance des propriétés particulières. Si on présente à ce rayon réfléchi un second miroir de verre, sous le même angle de 36

  1. Nous ne pouvons résister au désir de placer, en face des indications données par le père Secchi sur le mouvement transversal de la lumière, les vues que M. de Boucheporn présente sur le même sujet dans son Principe général de la philosophie naturelle. Nous donnerons ainsi un exemple de ces conjectures hasardeuses qui sont propres à M. de Boucheporn, et dont il sait, avec un art infini, trouver la vérification dans les faits. En voyant d’où il part et où il arrive, on demeure séduit, mais non convaincu.
    M. de Boucheporn attribue l’ondulation transversale au frottement de l’éther contre la surface tournante du soleil. Cette hypothèse lui fournit tout de suite l’explication du phénomène des couleurs, et il en trouve la confirmation dans l’examen des longueurs d’ondes qui caractérisent les teintes principales du spectre. Suivons-le dans son raisonnement.
    Si c’est la rotation du soleil qui ébranle les atomes éthérés suivant une tangente à son mouvement, cet effet doit se produire d’une manière très diverse aux différens points du méridien solaire ; il décroît nécessairement en énergie depuis l’équateur du soleil jusqu’aux pôles ; à l’équateur, le frottement est dans toute sa force, tandis qu’il est nul à l’extrémité polaire. Entre l’équateur et le pôle, son énergie va décroissant comme les rayons des parallèles ou comme les cosinus des latitudes. M. de Boucheporn suppose dès lors que les différences des longueurs d’ondes, c’est-à-dire les différences des couleurs, correspondent à des impulsions données suivant des parallèles différens. Quels seront les parallèles qui caractériseront les diverses couleurs ? M. de Boucheporn cherche aussitôt quels sont ceux qui présentent des particularités remarquables, ceux dont les lignes trigonométriques, les sinus et les cosinus, ont les rapports les mieux définis avec l’unité. Il en trouve huit, et il assigne à chacun d’eux une des teintes du spectre, le rouge étant placé à l’équateur. Il dresse ainsi le tableau suivant, où les cosinus des latitudes choisies se trouvent en regard des teintes qui leur sont attribuées :
    Cosinus des latitudes solaires.
    Violet 0,33
    Indigo 0,50
    Bleu 0,60
    Vert 0,70
    Jaune 0,80
    Jaune-orangé Fresnel avait pris ces deux points de repère au lieu de l’orangé seul 0,87
    Orangé-rouge « 0,97
    Rouge 1,00


    Il s’agit dès lors de vérifier si ces valeurs numériques sont proportionnelles aux longueurs d’ondes, dont la détermination a été faite par Fresnel avec une si admirable précision. Ici M. de Boucheporn fait remarquer que, dans son hypothèse, les valeurs expérimentales de Fresnel représentent la somme de deux effets : la translation du soleil exerce un frottement comme sa rotation. Le premier de ces deux effets peut être éliminé en retranchant un nombre constant des valeurs données par Fresnel, et dès lors ces valeurs prennent la forme suivante, si on adopte pour unité la longueur de l’onde rouge :

    Longueur d’ondulation
    Violet 0,396
    Indigo 0,518
    Bleu 0,600
    Vert 0,696
    Jaune 0,800
    Jaune-orangé 0,865
    Orangé-rouge 0,932
    Rouge 1,000


    Si l’on rapproche les deux séries numériques, on trouvera entre elles la concordance la plus parfaite que l’on puisse demandera des déterminations expérimentales. Les vues de M. de Boucheporn prennent surtout un aspect saisissant, si l’on considère les trois couleurs principales du spectre solaire, le bleu, le jaune et le rouge, qui peuvent composer la lumière blanche sans le secours des teintes intermédiaires. Pour ces trois couleurs fondamentales, les valeurs de l’une et de l’autre série sont rigoureusement comme les nombres 3, 4 et 5, et non-seulement ces nombres présentent un rapport tout à fait simple, mais ils sont les seuls qui satisfassent simplement à une autre condition caractéristique ; le carré de l’un d’eux est égal à la somme des carrés des deux autres : 9+16 = 25. C’est ce que M. de Boucheporn appelle la loi des trois carrés. Elle joue un grand rôle dans ses théories, et nous ne pouvons laisser d’en apprécier l’importance. Les mouvemens qui frappent nos sens se groupent d’autant mieux que sont plus simples les nombres qui les expriment ; en même temps l’intensité de nos sensations est en relation avec les carrés de ces nombres : nos sens sont donc appelés à juger de la double condition qui est remplie quand ces nombres et leurs carrés présentent à la fois des rapports très simples. On peut voir là, avec M. de Boucheporn, une des harmonies de la nature.