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où ce genre n’a jamais pu s’implanter, la renommée de l’auteur d’Alceste mit plus de temps à s’établir. Je ne parle pas de l’Italie, trop essentiellement musicale de sa nature pour se rompre la cervelle à pareils jeux de scolastique, et qui, habituée à vivre de son propre fonds, resta étrangère à ces réformes, comme elle est depuis restée étrangère à tant d’autres. Que devient dans toute cette affaire M. Richard Wagner et sa méthode ? On n’étonnerait point beaucoup, j’imagine, l’auteur de Tannhäuser et de Lohengrin en lui disant qu’il n’a rien inventé et que toute cette théorie, qu’il étale à si grands fracas dans ses volumes, se trouve exposée par Gluck en quelques pages de préface écrites de ce style simple et clair que pratiquent les honnêtes gens ; mais M. Richard Wagner se doute-t-il que cette méthode, qu’il n’a pas inventée, lui vient de France, et que c’est du vin de notre cru qu’il boit dans son verre allemand ? Inconséquence et contradiction, voilà un homme qui, pour réformer l’art national d’un pays qui donnait hier au monde Beethoven et Weber, s’adresse aux plus caduques traditions de la vieille tragédie française ! Cet homme, n’ayant en vue que l’avenir, ne regarde que le passé, et comme si l’exemple de Gluck écrasé définitivement sous le fardeau de ses poèmes ne lui suffisait pas, il va demander ses sujets à la légende, au mythe, donne à ce siècle avide d’émotions, de drame, d’élans vrais et passionnés, le dérisoire attrait d’une action presque toujours symbolique : Tannhäuser, Lohengrin, Tristan et Iseult, etc., etc.


IV

N’importe, quelque objection que le système provoque, ces chefs-d’œuvre de l’ancien répertoire classique ont encore pour nous, même au théâtre, un intérêt particulier. On y voit avec quel sérieux, avec quelle dignité calme et réfléchie de grands esprits se comportaient, et cet enseignement vous communique la force d’âme indispensable pour réagir contre les vilenies et les turpitudes d’un certain idiotisme contemporain. Intérêt de critique peut-être, plaisir de choix où le public qui contribue à faire les grosses recettes ne trouve pas toujours son compte, je le sais, et n’en estime que davantage une administration capable de renouveler de temps en temps ces entreprises. Les spéculateurs abondent aujourd’hui sur la place, qui ne demandent pas mieux que de se mettre à tout propos sous l’invocation de Gluck, de Mozart, de Weber, et de proclamer la religion de l’art, à la condition cependant que cette religion-là va les aider à faire leur fortune. Ce qui se rencontre plus rarement, c’est le culte désintéressé des maîtres. Il convenait à