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l’Opéra de donner l’exemple, et la reprise d’Alceste, à ce point de vue, méritait toutes les sympathies. Les almanachs de l’époque ont raconté la querelle de Sophie Arnould et de Mlle Le Vasseur à propos du rôle d’Alceste. Sophie Arnould régnait en chef d’emploi, mais Mlle Le Vasseur, sans être belle, plaisait au comte de Mercy-Argenteau, ambassadeur d’Autriche près la cour de Versailles. L’austère Gluck se laissa-t-il séduire, enguirlander ? Les dîners de Mlle Le Vasseur, l’hospitalité fastueuse qu’elle exerçait au nom et aux frais d’une excellence dont plus que personne un protégé de Marie-Antoinette devait ménager le crédit, tout cela prévalut-il finalement sur le choix du maître ? L’histoire permet les doutes. Toujours est-il que Sophie Arnould dut céder le rôle à sa rivale, et que la querelle de ces dames, entretenue, avivée à coups de brochures et de chansons, mêla son petit scandale au bruit des représentations.

Après Mlle Le Vasseur, vinrent la Saint-Huberti, Mme Branchu, énergumènes de la même famille, cantatrices à tous crins, à tous cris, à tous gestes. Seulement avec Mme Viardot s’ouvrit l’ère d’une interprétation plus intelligente. Son succès dans Orphée au Théâtre-Lyrique l’avait mise en goût d’archaïsme ; quelques fragmens d’Alceste, exécutés dans une séance de la société des concerts, amenèrent un nouvel essai. Malheureusement le rôle était écrit trop haut, force fut de recourir à M. Berlioz, le docteur consultant et l’opérateur par excellence chaque fois qu’il s’agit de Gluck ou de Spontini. La transposition eut lieu, chose toujours regrettable. Mme Viardot chantait le rôle avec son génie, Mlle Marie Battu le chante avec sa voix, c’est plus simple et souvent même d’un effet moins désagréable à l’oreille. Un parfait sentiment du caractère, une émotion contenue et pourtant dramatique, beaucoup de justesse dans les inflexions de voix, de la plasticité, du rhythme dans la démarche et dans le geste comme si elle avait pris leçon d’une Rachel, voilà par quels avantages principaux elle se recommande. Maintenant rien ne serait plus facile que d’étouffer cet éloge sous les critiques et de dire que la furie épique du personnage exigerait en maint endroit plus de force physique et d’emportement musical. Évidemment la voix de Marie Sax entonnant à plein clairon : Divinités du Styx, produirait un autre effet ; mais le pathétique du rôle ne serait en revanche point rendu comme il l’est. Il y a de la femme moderne dans cette Alceste ainsi comprise, de l’Antigone tendant la main à travers les siècles à la Cordelia de Shakspeare.

Gluck avait cinquante ans lorsque, de retour à Vienne de son second voyage en Italie, il écrivit en 1765 cette partition d’Alceste sur un poème taillé dans l’étoffe d’Euripide par le Florentin Ranieri