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proportionnel à la durée de l’exposition, et peut dès lors mesurer le pouvoir chimique de la lumière qu’on emploie. On me dispensera d’énumérer les précautions de toute sorte que nos deux chimistes ont dû imaginer pour s’affranchir de toutes les causes d’erreur susceptibles de dénaturer les résultats de leurs expériences.

L’appareil qui vient d’être décrit représente déjà une balance d’une extrême sensibilité dans laquelle on pèse la force chimique de la lumière par les quantités d’acide dont elle détermine la formation en une seconde. Toutefois, il nous reste à franchir un dernier pas. L’expérience, il est vrai, fait connaître la quantité de gaz qui s’est combinée ; mais si la colonne de gaz traversée eût été plus épaisse, la route des rayons plus longue, ils auraient travaillé davantage, et nous aurions eu plus d’acide. Pour connaître leur puissance réelle, il faudrait les épuiser, les éteindre complètement en les faisant pénétrer dans une couche illimitée du milieu sensible. On conçoit que tout le monde n’a pas à sa disposition des tubes d’une longueur illimitée. Heureusement le calcul nous offre un moyen facile de nous affranchir de cette condition par trop onéreuse. Il suffit de déterminer l’absorption dans deux tubes de longueur différente pour en déduire celle qui s’observerait dans une couche indéfinie. C’est par cet artifice que MM. Bunsen et Roscoe sont parvenus à exprimer la puissance chimique réelle de différentes sources de lumière par la quantité d’acide chlorhydrique qu’elles produiraient en une minute, si les rayons se perdaient complètement dans une colonne illimitée de chlore et d’hydrogène. On peut se figurer l’acide étendu en une couche uniforme sur toute la surface insolée ; dès lors c’est l’épaisseur de cette couche qui mesure le pouvoir chimique de la lumière examinée. Nous dirons que telle lumière produit 1 centimètre, telle autre 1 mètre d’acide chlorhydrique en une minute ; MM. Bunsen et Roscoe appellent cette mesure le mètre de lumière (licht-meter).

Au début de leurs expériences, nos deux chimistes ont eu l’occasion de constater plusieurs faits curieux. Ils ont observé à différentes époques l’absorption que le mélange normal de chlore et d’hydrogène exerçait sur la lumière diffuse d’un ciel sans nuages, et il s’est trouvé qu’elle variait avec l’heure de la journée et avec la saison. C’est une preuve que la composition de la lumière diffuse est sujette à des variations notables ; on devait s’y attendre en songeant aux changemens d’intensité que peut offrir, d’après Saussure, le bleu du ciel par un temps parfaitement serein. Ces variations affectent les rayons chimiques ; par conséquent, s’il nous était donné de discerner ces rayons par des impressions analogues aux couleurs des rayons visibles, nous les verrions pendant le cours d’une journée passer par une foule de nuances successives : il y aurait une aurore chimique le matin et un crépuscule chimique le soir. L’indépendance des variations diurnes des rayons lumineux et des rayons chimiques est d’ailleurs confirmée par deux faits bien connus des photographes : l’intensité optique de la lumière,