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progrès matériels comme des nouveautés dangereuses ou inutiles, on peut concevoir un despotisme plus avisé, plus moderne, qui se fasse de son temps pour le maîtriser, et transforme la richesse publique en moyen de corruption. C’est un des périls que courent les nations trop promptes à se lasser du gouvernement d’elles-mêmes, et parmi les mobiles qui nous agitent notre goût pour toutes les formes et tous les signes du bien-être peut produire quelques-uns des maux que les publicistes de l’antiquité imputaient au luxe et à la mollesse.

Telle est l’énumération assez exacte des principaux faits qui, n’étant pas encore séculaires dans leur intensité actuelle, caractérisent l’état nouveau du monde et distinguent essentiellement la politique du présent de la politique du passé. Suivant les circonstances, suivant les calculs des partis et des hommes d’état, tels ou tels de ces faits peuvent être considérés, ménagés ou développés de préférence et même artificieusement ou maladroitement opposés les uns aux autres ; mais une politique éclairée tiendra compte de tous, les classera suivant leur rang, et, si elle est noblement inspirée, elle reconnaîtra que de toutes les questions auxquelles ces faits peuvent donner naissance, la première et la plus haute, c’est la question de liberté. Celle-ci n’est pas tout, elle n’est pas la seule importante ; ce serait une erreur dangereuse que de l’ignorer ; mais ceux qui tombent dans l’erreur contraire, ceux qui croient pouvoir la mettre au second rang, les publicistes qui vont plus loin et prétendent l’éliminer tout entière, comme par exemple M. le duc de Persigny, rabaissent leur temps et ne rendent justice ni à leur pays ni à l’humanité. Dans tout ensemble d’idées, il y en a qui sont d’un ordre supérieur aux autres, et auxquelles certains esprits s’attachent de préférence. Retrancher ces idées, c’est décapiter un système, et la place que la liberté occupe dans la pensée contemporaine ne peut être prise par aucune autre sous peine de déchéance. Il ne s’ensuit pas cependant que la liberté soit tout et que le reste doive être négligé, rejeté comme « bon pour les goujats. » Il y a, si l’on veut, dans tout parti une élite et un vulgaire, et ce qui touche éminemment l’élite n’est pas toujours ce qui trouve le vulgaire plus sensible. Quand cette différence existe, il ne faut pas se lasser d’appeler, d’exciter la multitude à se passionner pour ce qu’il y a de plus noble et de plus grand ; mais il n’est pas moins nécessaire de préserver les esprits élevés et délicats d’une indifférence superbe pour tout ce qui émeut les masses. Nulle part le dilettantisme n’est moins à sa place que dans la politique. Elle n’est pas comme les beaux-arts, où le mépris de la médiocrité est permis. Qu’elle lève la tête le plus haut qu’elle le peut, mais qu’elle ne