Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/305

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

où il les menait était moins une affaire de canon qu’une affaire de choc, que chaque capitaine devait enfoncer son avant dans le flanc du navire ennemi en se réunissant deux et trois contre un (comme l’amiral Farragut en a donné l’exemple au combat de Mobile), manœuvre toute puissante à coup sûr, si l’ennemi, ainsi qu’il arriva, veut bien se laisser faire ; enfin il les embrasa de son enthousiasme et de sa confiance. Voulant rester maître de choisir son moment, il alla mouiller son escadre dans la rade de Fasana, qui prolonge au nord celle de Pola ; là, sous le feu des innombrables batteries de mortiers et de canons qui flanquent le mouillage, et en répandant le bruit vrai ou faux qu’il avait semé les passes de torpilles, engin de défense fort peu connu encore, mais qui tire sa puissance des terreurs imaginaires qu’il inspire, il put, à l’abri de toute tentative de l’ennemi, dédaigneux des quolibets et des traits de la satire, ne se préoccupant pas de ce qui lui manquait, tout entier au contraire aux moyens de tirer tout le parti possible de ce qu’il avait entre les mains, se préparer à une grande action.

Que faisait de son côté l’amiral Persano ? Sa flotte, comme celle de l’Autriche, tardait à se compléter ; mais, au lieu de ne songer qu’à donner aux instrumens qu’il avait déjà toute leur puissance, il ne savait que se lamenter de ce que ses navires et les nouveaux canons qu’on lui avait promis n’arrivaient pas : ses équipages, formés de fraîches recrues, ignoraient la manœuvre des bâtimens et des canons, surtout celle.de l’artillerie nouvelle ; ses officiers n’étaient pas dressés à leur métier. Ainsi Villeneuve, avant Trafalgar, se contentait de hausser les épaules quand il voyait ses ordres inexécutés, comme si le devoir du chef de guerre n’était pas de corriger par son génie, par la force de sa volonté, ce qui lui fait défaut dans les moyens d’action. Au lieu de réunir ses chefs d’escadre, ses capitaines, pour les imprégner de son entente des combats, pour les initier à ses plans, s’il en avait, chose indispensable aujourd’hui où l’initiative des capitaines peut tant pour le succès des batailles, il ne leur communiqua rien. Certes personne en ce moment n’incriminera le courage personnel de l’amiral Persano ni son mépris du danger, mais mille voix s’élèveront contre le commandant en chef qui ne sut pas incorporer le démon de la guerre au flanc de ses navires. Sous la pression de l’opinion publique, il sortit cependant avec son escadre, promena son pavillon dans l’Adriatique et rentra à Ancône, proclamant, non sans quelque vérité, que l’ennemi refusait l’engagement ; mais ce n’était pas une simple démonstration que lé sentiment exalté de l’Italie réclamait de sa flotte : devant les clameurs qui s’élevaient de toutes parts, le ministre de la marine, Depretis, accourut à Ancône.