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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/311

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criblée d’éclats d’obus, sa mâture avariée, six mantelets de sabord emportés, son pont labouré par les obus et les boulets ; mais sa cuirasse, malgré le choc de quatre-vingt-dix boulets, était demeurée invulnérable, et, circonstance à noter, pas un obus n’avait pénétré dans la batterie ; un seul, qui fît explosion sur l’arête extérieure d’un sabord, tua deux canonniers, en blessa dix et remplit cette partie de la batterie d’une fumée si épaisse que pendant quelques minutes la manœuvre des canons y devint impossible.

Ainsi de ce côté l’attaque était manquée, et l’on ne peut pas taxer de forfanterie les Autrichiens, quand ils se vantent aujourd’hui « d’avoir fait reculer les bâtimens cuirassés italiens, incapables de résister au feu des forts qui commandent le port. »

Quant au débarquement, opération toujours très délicate, même dans des circonstances favorables et avec des équipages bien préparés, le vent et la mer, le temps menaçant et la nuit qui s’approchait vinrent à point pour fournir une raison de le suspendre. La brise, qui toute la journée avait souillé du sud-est, c’est-à-dire de terre et sans vagues brisant à la plage, fraîchit fortement au coucher du soleil, et, au rapport du vice-amiral Albini, amena de la côte une mer démontée (marella che rampera della costa) qui rendit l’accostage difficile. En vérité, quand on pense à la confusion qui régnait au milieu de ces navires mal préparés, mal dirigés, au milieu de ces matelots et soldats inexercés, qui, ne sachant ni ce qu’ils avaient à faire ni à qui ils devaient obéir, s’agitaient, se démenaient avec cette profusion de cris et de gestes fiévreux particulière aux races méridionales de l’Europe, outre que l’ennemi embusqué à la plage avait déjà fait reculer l’avant-garde et menaçait d’ajouter une certaine gêne à la descente, ne doit-on pas féliciter l’Italie que l’amiral Persano n’ait pas réussi à jeter précipitamment à terre une partie de ses forces, comme il s’y était exposé ? Le débarquement fut ajourné au lendemain ; une moitié des compagnies, mises à cinq heures sur les canonnières, en fut rappelée à sept heures, l’autre moitié dut y passer la nuit, et l’escadre cuirassée eut l’ordre de se maintenir sous vapeur en ligne de file à l’ouvert de la rade jusqu’à l’arrivée du jour.

Le 20 juillet 1866, date désormais néfaste dans les annales de l’Italie, le crépuscule du matin amena devant Lissa le bateau à vapeur le Piemonte chargé d’un bataillon entier d’infanterie de marine. A la vue de ce renfort inattendu, ni le temps qui devint orageux, ni la réflexion sur le péril à chaque instant plus imminent d’une attaque foudroyante de l’escadre ennemie contre sa flotte éparpillée et en désordre, rien ne put changer la résolution de l’amiral Persano ; il s’aveugla lui-même sur le danger. « La dépêche