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télégraphique de l’amiral Tegethof ne fut plus à ses yeux qu’une ruse de guerre pour le détourner de l’attaque de Lissa ; d’ailleurs ses vedettes n’étaient-elles pas là pour l’avertir à temps ? et puis dans la flotte plusieurs bâtimens n’avaient plus que pour deux jours de charbon, on n’avait pas songé à lui en assurer un approvisionnement sur des transports. Il fallait ou agir soudain ou retourner à Ancône prendre du combustible et des munitions de guerre » dont les cuirassés avaient fait une énorme consommation dans les journées précédentes. L’ordre fut donné à la Terribile et à la Varese de recommencer à canonner Porto-Camisa, au vice-amiral Albini d’opérer le débarquement, à l’escadre cuirassée de reprendre l’attaque des batteries intérieures du port. Il était huit heures du matin ; ces ordres étaient à peine lancés, que tout à coup l’Exploratore, émergeant d’une bourrasque de nord-ouest, parut avec le signal de bâtimens suspects.

L’heure critique était donc enfin venue pour l’amiral Persano, et en quel état elle le surprenait ! Son escadre non cuirassée était au milieu des embarras d’un débarquement en commencement d’exécution, c’est-à-dire avec ses chaloupes, canots et chalands à la mer, une partie de ses équipages et les troupes hors du bord, encombrant les canonnières, et tout le désordre intérieur que peut amener un pareil mouvement sur des bâtimens nouvellement armés. Et qu’eût-ce donc été, si l’opération de la descente avait été entamée la veille à l’entrée de la nuit ? de ses corvettes à éperon, les deux plus utiles de ses cuirassés pour le combat qui se préparait, l’une, la Formidabile, se trouvait occupée à transporter ses blessés sur le navire-hôpital, et d’ailleurs, par les avaries qu’elle avait reçues quinze heures auparavant, elle était difficilement en état de prendre part à l’action ; l’autre, la Terribile, hors de vue, engagée dans une simple diversion à plusieurs lieues de son pavillon, ne pouvait arriver que tard au combat. L’amiral ne paraît pas s’être rendu compte un instant de la valeur de ces deux bâtimens ; la puissance du choc ou coup de bélier échappait à son esprit. Le Re-di-Portogallo et le Castelfidardo signalaient des avaries dans leurs appareils à vapeur ; les- autres, avec leurs machines stoppées dans la rade, attendaient des ordres. Résumons tout cela : l’amiral arrivait à la bataille avec des équipages fatigués, 16 hommes tués et 95 blessés, plusieurs de ses cuirassés endommagés, la Formidabile hors de combat, son escadre en bois ainsi que ses canonnières mal préparées pour contribuer à l’action, et le reste de ses cuirassés épars sur une longueur de plus de 20 kilomètres ; une grande émotion et du trouble partout.

Que fait alors le commandant en chef ? A huit heures et un quart,