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il expédie l’ordre à la Terribile et à la Varese de venir le rejoindre ; il signale au vice-amiral Albini de rembarquer ses troupes, au contre-amiral Vacca, un peu écarté dans l’est avec la division d’avant-garde, de rallier pour marcher à l’ennemi. Pour comprendre les manœuvres qui vont suivre, il ne faut pas perdre de vue l’intérêt en jeu : l’escadre autrichienne accourait au secours de Lissa ; le but de la flotte italienne devait être de l’en empêcher en lui barrant le passage. Vers neuf heures donc, lorsque le contre-amiral Vacca a terminé à peu près son mouvement, que le Re-di-Portogallo et le Castelfidardo ont rallié d’eux-mêmes, l’amiral Persano, jugeant d’après la position de l’Exploratore que les Autrichiens venaient du nord-ouest, signale à son escadre cuirassée de former la ligne de front le cap au sud-ouest, qu’il rectifie le cap à l’ouest dès que dans une éclaircie il s’aperçoit, aux panaches de fumée qui flottent à l’horizon, qu’il relève l’ennemi plus au nord. Cet ordre de front[1] n’était point son ordre de combat, ainsi qu’on pourrait se l’imaginer avec l’idée de présenter l’avant, c’est-à-dire le côté fort à l’ennemi ; c’était simplement une situation préparatoire, car bientôt, voyant les Autrichiens approcher rapidement, il hisse le signal de former ce qu’il appelle la ligne de bataille (qui n’était autre que la ligne de file) sur les bâtimens d’avant-garde, comme dans l’ancienne tactique des flottes à voiles, c’est-à-dire qu’il fait tête de colonne à droite, le cap à peu près au nord-nord-est, présentant ainsi son flanc, sa partie la plus faible, à l’escadre autrichienne, qui fond sur lui massée et à toute vitesse, le cap au sud-est. « Alors, dit-il, songeant (fut-ce donc pour la première fois ?), en présence des nouveaux moyens d’action de la guerre maritime, à la convenance de se trouver hors de la ligne sur un bâtiment cuirassé de grande vitesse, tant pour se lancer dans la mêlée que pour porter avec sollicitude les ordres nécessaires aux divers points de l’escadre et la faire manœuvrer au besoin, » il se rendit avec son chef d’état-major, un aide-de-camp (son fils) et un officier de signaux à bord de l’Affondatore. Certes nul homme de mer ne le blâmera de cette idée, qui aux mains d’un officier vigoureux pouvait être puissante ; seulement il aurait bien dû la faire connaître d’avance à ses capitaines trop peu exercés encore pour les exposer à une surprise, surtout il devait choisir et garder avec soin pour cet acte décisif la Formidabile ou la Terribile, qui y répondaient complètement, tandis qu’il s’en va à l’improviste arborer son pavillon sur un monitor mal disposé pour les signaux, d’une longueur

  1. On appelle ordre de front celui dans lequel les bâtimens sont rangés sur une ligne perpendiculaire à la direction de leur route.