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bâtimens, la plupart du système monitor, cuirassés (de tôles de 3 centimètres superposées) et armés de gigantesques canons en fonte qui projettent des boulets pleins de 300, de 600 et même de 1,000 livres ; sacrifiant la vitesse à la masse, ils ne veulent qu’ébranler et non percer les murailles ennemies ; le coup de bélier n’est à leurs yeux qu’une manœuvre secondaire. S’ils n’avaient en vue que la défensive dans leurs eaux peu profondes, où nos grands cuirassés ne peuvent pénétrer, nous n’aurions rien à dire ; mais quand avec leur jactance habituelle ils se vantent d’être en état de battre toutes les marines de l’Europe, nous sourions à leurs fanfaronnades. Nous sommes certains de pousser nos éperons dans les flancs de leurs monitors, le Max nous a montré le chemin à travers les cuirasses américaines ; nous trouverons des projectiles qui feront voler en éclats leurs tourelles, tandis que leur boulets massifs, mais sans vitesse, s’arrêteront impuissans contre nos cuirasses éprouvées. Et si ces monitors osaient s’approcher, le vieux Kaiser dans son engagement avec l’Affondatore n’a-t-il pas démontré que nos feux plongeans, perçant leurs ponts, iraient, par des coups de revers, jeter à l’eau leurs cuirasses ? Mais c’est dans les vaillantes poitrines des héroïques compagnons des Farragut et des Porter que réside la vraie force de la marine américaine, dans ces marins consommés qui semblent dans leur élément au milieu des sifflemens de l’ouragan et des flots amoncelés par les tempêtes de l’Océan, comme ils l’ont fait voir d’une manière si mémorable à l’attaque du fort Fisher ; qu’ils sauraient bien à l’heure du combat, ces hommes énergiques, rendre effectifs leurs engins de guerre, même à infériorité de conception.

L’Angleterre, entraînée, malgré elle, dans une voie qu’elle n’a pas ouverte, qui lui est odieuse, car elle menace de réduire à néant la colossale marine en bois dont elle était si fière, ne sait encore que se traîner à la remorque de nos inventions ; le génie de la construction navale de guerre, faut-il dire aussi de l’artillerie ? semble lui faire défaut ; elle gaspille les millions par centaines sans rien produire qui lui soit propre et qui la satisfasse ; elle hésite entre le monitor et la frégate cuirassée, elle n’ose même constituer définitivement sa force navale. Se laissera-t-elle surprendre par un coup imprévu comme l’Autriche à Sadowa ? Nous croirons difficilement que, sous un ministère tory, jamais pareil spectacle vienne caresser nos rancunes nationales ; la suprématie maritime est tellement une nécessité d’existence pour l’Angleterre, si forte de tant de richesses séculairement accumulées, qu’elle saura bientôt fournir, fût-ce à tout prix, les moyens de se défendre et de vaincre à cette vigoureuse population de gens de mer qu’on ne peut voir sur ses côtes