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ce bâtiment submergé presque en entier qui, à distance, ne laisse voir au-dessus de l’eau qu’une ou deux tourelles pivotantes, à murailles de fer très épaisses (0m,30), armées de deux énormes canons qu’elles dirigent dans leur mouvement de rotation, et dont elles sont, pour ainsi dire, l’affût. Le peu de profondeur de la mer le long de leurs côtes, qui impose aux navires la nécessité d’un faible tirant d’eau, n’a peut-être pas été étranger à cette conception, étrange en apparence, mais qui frappe tout d’abord par son caractère de puissance, en tant du moins qu’il s’agit d’un combat à distance et non d’une lutte corps à corps ou de très près. Ainsi, à son tour, l’artillerie était en échec et ne pouvait plus rien contre les navires ; mais bientôt elle se mit à la recherche de canons et de projectiles qui pussent percer ces résistantes cuirasses, et elle y réussit. La construction navale augmenta l’épaisseur de son armature de fer qui, de dix centimètres à l’origine, s’est élevée successivement à douze, à quinze, à vingt et même à trente ; l’artillerie redoubla d’efforts : bouches à feu colossales, canons d’acier, canons en fonte de vingt à trente centimètres, rayés et frettés, c’est-à-dire à culasse renforcée de cercles d’acier, projectiles d’acier et de fonte brusquement refroidie, cylindriques ou à pointe ogivale, massifs ou explosibles, tout est tenté en Amérique, en Angleterre, en France. Ainsi, depuis six ans, la lutte est engagée et se continue partout au grand péril des millions du budget.

Dans cette fièvre d’inventions, que devient la marine en bois, cette vieille marine autrefois glorieuse, qui a fait si longtemps la poésie des mers quand la voile seule lui donnait le mouvement ? Certes nous ne conseillerons pas de la mettre en ligne contre les escadres cuirassées ; mais faut-il la laisser périr dans un complet abandon ? Non, l’exemple du Kaiser nous prouve qu’elle peut encore à un moment donné, vaillamment conduite, rendre d’utiles services ; les cuirassés, avec leurs canons si puissans, mais peu nombreux et au tir lent, ne lui sont pas aussi redoutables qu’il semblerait, elle peut même, avec ses feux plongeans, dans un engagement presque corps à corps, quand les bâtimens se raclent ou se prolongent de très près, leur porter des coups dangereux ; du reste le temps seul la fera bientôt disparaître, car sans doute on n’en construira plus.

Quant aux bâtimens en partie cuirassés, enfans d’un art impuissant, il faudra bien les subir, si la construction navale ne parvient pas à s’en affranchir ; mais ils porteront toujours au flanc le vice de leur conception.

Les Américains ont fixé leurs idées : prodigues d’argent et ne doutant de rien, ils se sont donné une flotte ferrée de 70