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s’était déjà ouvert une autre issue du côté de l’Italie. Il n’est pas sans intérêt d’observer par quels moyens elle est parvenue à se fortifier derrière cette barrière du Jura qui contenait la France et à s’assimiler les élémens de la société féodale. Rien de plus propre que ce travail intérieur d’absorption à donner une idée des facultés et du tempérament de la maison de Savoie.


II

On aurait une bien fausse idée de la domination qu’elle exerçait aux temps féodaux, si on se la représentait sous la forme de la monarchie moderne, unie, compacte, sans solution de continuité. Quoique son autorité s’étendît sur des pays assez vastes, elle était loin d’y obtenir partout la même obéissance. Sa juridiction y était arrêtée à chaque pas par les juridictions féodales, ici par un évêque, souverain temporel dans son diocèse, là par une ville affranchie, plus loin par cette multitude de hobereaux bardés de fer et agissant en maîtres absolus dans leurs châteaux. On a compté[1] jusqu’à douze cents familles seigneuriales en possession de tous les modes de juridiction dans l’espace occupé par la maison de Savoie en-deçà des monts. L’historien auquel on doit ce calcul nous fait assister à leur naissance, il remonte aussi près de leur berceau que le lui permettent les documens qui sont entre ses mains ; il décrit en termes héraldiques, tout à fait incompréhensibles aux profanes, leurs châteaux crénelés, leur organisation militaire, leurs armes et leurs guerres : dénombrement curieux, dans lequel on ne voit pas sans intérêt figurer des familles qui comptent encore des représentans dans le pays, ou qui, transplantées ailleurs, sont devenues des illustrations nationales des pays qui les ont reçues. Cette région des Alpes semble avoir été dès le moyen âge une sorte de

  1. Léon Ménabréa, dans ses Origines féodales, ouvrage posthume publié en 1865 par la sœur de l’écrivain, Mme la comtesse Brunet. Héritière du portefeuille de son frère et aussi un peu de ses goûts archéologiques, elle n’a voulu priver le public érudit d’aucune des richesses qu’il contenait. Elle en a déjà tiré l’in-4° des Origines féodales, et promet d’en tirer d’autres travaux. Léon Ménabréa appartient au mouvement d’études historiques provoqué par Charles-Albert dès la première année de son règne. En 1832, ce roi créa la grande commission des Monumenta historiœ patriæ, composée de personnages officiels et des hommes qui s’étaient le plus distingués par leurs travaux historiques. A côté de cette commission, il se forma en Savoie, dans l’académie de Chambéry, un centre d’études auquel Ménabréa se rattache plus particulièrement. Écrivain fécond, trop fécond pour être correct, investigateur passionné des choses du passé, il a réuni pour l’histoire de la maison de Savoie des matériaux immenses qui ne forment pas sans doute un édifice complet et bien ordonné, mais qui en mettent les précieux matériaux à portée de celui qui abordera cette tâche dans un esprit plus large et moins préoccupé des détails.