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municipales et républicaines écrasées par ces tyrannies, et elle obtient en retour de ces services le titre et les droits attachés à une protection acceptée. C’est ainsi qu’Ivrée en 1313, Fossano en 1314, Chieri en 1347, Mondovi la même année, Biella en 1379, Cuneo en 1382 et Nice en 1388 s’annexent spontanément aux domaines subalpins de Savoie, à la condition que leurs libertés municipales seront reconnues et garanties. Enfin, quand l’obstacle qui fermait la vallée du Pô lui opposait une résistance supérieure à ses forces, elle avait une ressource extrême : c’était d’ouvrir l’écluse des Alpes au torrent français, qui se précipitait alors et balayait tout sur son passage ; mais elle n’a fait usage de ce remède dangereux pour elle-même qu’après que les agrandissemens de la France l’eurent obligée de s’ouvrir à tout prix une issue en Italie.

C’est le duc Emmanuel-Philibert qui a reconnu le premier que l’avenir de sa maison était là. Cette conviction lui était venue de ses longs rapports avec la France. Il avait combattu contre elle en Italie, en Allemagne et dans les Flandres ; il l’avait vue seule, malgré ses divisions intérieures, tenir tête à l’Angleterre et à l’immense empire de Charles-Quint, et il savait ce qu’il lui avait fallu à lui-même d’énergie, de valeur, de génie militaire, pour remporter les victoires de Gravelines et de Saint-Quentin, où il commandait l’armée impériale. En vainqueur généreux et clairvoyant, il s’empressa, aussitôt que la paix de Cateau-Cambrésis fut conclue, de nouer avec la France une étroite alliance, qui fut scellée par son mariage avec la sœur d’Henri II. Sous son règne, la monarchie de Savoie changea de centre de gravité, Turin devint la capitale, et la langue italienne prit le pas sur la langue française. On lit dans les curieuses relations des ambassadeurs vénitiens qu’il ne voulait entendre que l’italien dans sa cour, quoiqu’il parlât avec une égale facilité l’allemand, l’espagnol et le français. Il paraît, d’après la relation de Lippomano, que cette affectation d’italianisme était peu agréable aux ambassadeurs français, espagnols et autrichiens ; mais sa réponse à leurs observations était toujours qu’il voulait suivre une politique à lui, qu’il était prince italien, et qu’il désirait vivre et mourir en prince italien. Les relations vénitiennes de Boldù et de Morosini nous montrent que les provinces cisalpines ressentirent vivement ce déplacement du centre de la monarchie, la Savoie surtout, qui ne se sentait pas encore attirée par la nationalité française ; nous verrons bientôt par quels efforts elle réagit contre le transfert de la capitale. Le duc se flattait de faire oublier cet abandon du berceau de sa famille en entourant d’attentions et d’égards les nobles savoyards, en les admettant dans ses conseils, en leur distribuant les hautes dignités de la cour, les emplois supérieurs dans la