Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/383

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

repousser Rodolphe de Habsbourg en Helvétie. Son frère Guillaume devint le conseiller intime et le ministre du roi. Un autre frère, Boniface, qui était ecclésiastique, fut nommé archevêque de Canterbury et primat d’Angleterre. Pierre II fit de nombreux voyages à Londres, emmenant chaque fois avec lui un cortège de seigneurs du pays de Vaud et de la Savoie, grands guerroyeurs, mais pauvres et râpés, auxquels le roi donnait en mariage les plus riches héritières de son royaume. Le chroniqueur que nous avons cité s’indigne de ces mariages et les appelle une souillure pour le noble sang anglais[1]. Dans son engouement pour les Savoyards, Henri III fit construire pour les recevoir le palais de Savoie dans le Strand, démoli après 1815 pour dégager les abords du pont de Waterloo, et dont il ne reste plus que la chapelle ; cette chapelle sert aujourd’hui, d’église à la légation italienne à Londres.

Cette politique matrimoniale a été féconde en acquisitions d’importance et en alliances précieuses pour la maison de Savoie ; elle lui a valu successivement la possession du passage du Mont-Cenis et du versant qui domine le Piémont, la Bresse, le Bugey et le Faucigny. Par d’heureux mariages, elle s’est créé sur le continent et en Angleterre même des points d’appui à l’aide desquels elle a pu se maintenir à cheval sur les Alpes et résister sans être désarçonnée aux plus graves ébranlemens de l’Europe. Cependant cette politique ne lui a pas réussi d’abord en Italie : outre les deux mariages dont nous avons parlé avec un Visconti et un Sforza, elle en contracta encore avec plusieurs des princes qui encombraient la vallée du Pô, par exemple avec les marquis de Montferrat et de Saluces ; mais rien de solide, rien de durable ne pouvait se nouer avec ces tyrannies violentes élevées sur la ruine des républiques lombardes, sans autres traditions que celles de la force, des coups de main, de l’assassinat, et pratiquant déjà cette politique d’expédiens que Machiavel devait réduire plus tard en maximes. Le prestige d’une descendance royale qui environnait la maison de Savoie et qui ouvrait à ses fils et à ses filles l’entrée des grandes cours occidentales n’avait aucune prise sur ces tyrans italiens, à qui la force seule imposait, et c’est uniquement par la force que cette maison a pu s’étendre en Italie. L’histoire de ses progrès de ce côté est essentiellement guerrière, chacun de ses pas y a été marqué par des luttes incessantes. Pendant trois siècles, elle est aux prises avec ces petites principautés, les combattant tour à tour, les opposant l’une à l’autre, les Saluces aux Montferrat, les Montferrat aux Sforza ; elle s’efforce de prêter main-forte et de rendre la vie aux libertés

  1. Ibid., p. 825, 852.