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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/388

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cette famille aimée qui les avait groupées par un travail séculaire. Ils furent douloureux surtout pour la Savoie, dont le poids, désormais trop léger, ne pouvait plus retenir la monarchie. Pendant quarante ans, de 1560 à 1601, elle nourrit l’espérance de ramener la cour à Chambéry, et développa, excitée et soutenue par cette pensée, une énergie extraordinaire. Cette période a été, on peut le dire, l’âge héroïque de la Savoie. Naturellement froid et concentré, le caractère du pays s’exalta dans les guerres contre Genève. Cette ville, qui devait former le contre-poids de Turin, sans cesse présente à la pensée du pays, fut attaquée vingt fois soit par les bandes organisées de la noblesse, connues sous le nom de Gentilshommes de la cuiller, soit par l’armée régulière. Le fanatisme religieux, se mêlant au sentiment national, fit passer sur toutes les règles du droit des gens admises à cette époque. On massacrait des garnisons prisonnières après qu’elles avaient déposé les armes ; on attaquait Genève en pleine paix, sans déclaration de guerre, et la nuit du 12 décembre 1602 elle se réveilla assiégée par l’armée du duc de Savoie. L’espoir de ramener la monarchie fit naître des idées et des projets qui nous paraissent à bon droit chimériques aujourd’hui, mais qui étaient alors l’expression d’un sentiment national fortement surexcité. Telle est celle d’un royaume allobroge formé au midi de la Provence et du Dauphiné, à l’ouest du Lyonnais et de la Bresse, au nord de la Suisse française, et à l’est des provinces subalpines avec la Savoie pour centre.

Cette idée avait pris naissance au sein du sénat de Savoie. Par ses attributions, qui ne sont pas sans analogie avec celles de nos parlemens modernes, le sénat touchait à toutes les affaires de l’état, à la politique, à la diplomatie, à la guerre et à l’administration intérieure. Représentation assez exacte du pays, de ses idées et de ses sentimens, il était devenu, dès le premier jour de sa création par Emmanuel-Philibert, le point d’appui de la résistance locale contre la politique italienne du souverain. Le terrain était donc tout préparé pour l’éclosion de la grande idée. Le sénateur Joly d’Allery la formula en 1561 dans un écrit qui fut envoyé au duc et répandu à profusion des deux côtés des monts. L’écrit lui-même a disparu, mais l’historien du sénat de Savoie a retrouvé dans les archives de la compagnie des documens qui en reproduisent le fond et les linéamens principaux. Le sénateur avait imprudemment mêlé la question religieuse à la question politique. Il ne s’était pas borné à conseiller au duc de diriger sa politique et ses alliances vers le but indiqué, savoir la formation du royaume allobroge ; il lui conseillait aussi d’intéresser à ce projet les huguenots de France et les puissances protestantes en embrassant la