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nombreux qu’on n’a pas oubliés[1]. Tout récemment encore, à l’occasion d’un livre nouveau de M. Stuart Mill[2], un savant distingué qui a voué sa vie à interpréter ou à défendre cette doctrine et qui a mis à son service de telles qualités d’esprit qu’on peut dire qu’il l’a fondée une seconde fois, M. Littré, en a résumé les traits principaux dans un débat public que je considère comme capital et dont nous ferons à l’occasion notre profit. C’est à cette dernière exposition que nos lecteurs pourront se référer en toute confiance, s’ils veulent se former une image exacte et fidèle de "cette école, de sa physionomie propre et distincte. En faisant appel à ces souvenirs encore récens, nous pourrons essayer de répondre, sans plus ample informé, à ces deux questions que de nombreux et remarquables écrits, issus de l’école expérimentale[3], ont mises en quelque sorte à l’ordre du jour : quelle est l’attitude du plus grand nombre des savans devant la métaphysique ? S’il n’est pas vrai que le mode de penser parmi les savans soit exclusivement le mode de penser positiviste, à quoi tient le malentendu persistant de l’opinion qui les classe tous ou presque tous indistinctement dans l’école de M. Auguste Comte ? Il m’a semblé qu’il pouvait y avoir quelque opportunité à une libre enquête de ce genre, entreprise sans autre parti-pris que celui de voir clair dans la confusion des idées, des doctrines et des noms propres.

J’ai parlé d’un malentendu. Il y en a toujours quelqu’un au fond de ces classifications arbitraires et artificielles que l’opinion s’empresse de dresser, comme pour se dispenser d’un examen sérieux. Il semble que ce soit pour elle comme un allégement de conscience de pouvoir ranger à la hâte sous une dénomination commune le plus grand nombre possible de penseurs ou de savans. C’est tout au plus un allégement de mémoire, ce qui est bien différent, et souvent obtenu au préjudice des plus grands intérêts, ceux de la vérité, de la justice historique, des plus simples convenances à l’égard des penseurs originaux, qui s’indignent à bon droit de voir leurs noms inscrits pêle-mêle sous l’étiquette banale d’une catégorie sans rapport avec les traits précis et les formes vraies de leur individualité, scientifique.

C’est par suite d’une confusion de ce genre qu’on s’est habitué à croire et à répéter, sur la foi de quelque oracle vulgaire, que tous les savans sont positivistes. Nous essaierons de faire voir comment

  1. M. Saisset, 15 août 1862. — M. Janet, 15 août et 1er décembre 1863. — M. Dupont-White, 1er et 15 février 1865. — M. Littré, 15 août 1866.
  2. Auguste Comte and Positivism, by Stuart Mill.
  3. Introduction à l’étude de la Médecine expérimentale, par M. Claude Bernard. — Histoire des connaissances chimiques, t. Ier, par M. Chevreul. — Les Problèmes de la nature, par M. A. Laugel, etc.