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n’est plus ici une théorie abstraite, construite dans le silence du cabinet par quelque logicien. C’est toute une vie scientifique que cette théorie raconte : elle a été expérimentée dans la lutte avec la réalité même ; elle a été trouvée aux sources mêmes de la science. Elle est sortie du laboratoire avec les belles découvertes qu’elle a servi à faire, et qui méritent d’être ses vivans témoignages devant la philosophie comme devant la science. Quelle force et quelle autorité la parole de l’expérimentateur ne doit-elle pas emprunter au souvenir de ses propres travaux, consigné dans quelques exemples d’investigation physiologique qui viennent comme autant de preuves à l’appui de la théorie ! « Dans tous ces exemples, nous dit modestement l’auteur, je me suis autant que possible cité moi-même, par cette seule raison qu’en fait de raisonnemens et de procédés intellectuels je serai bien plus sûr de ce que j’avancerai en racontant ce qui m’est arrivé qu’en interprétant ce qui a pu se passer dans l’esprit des autres. » C’est là ce qui donne à mes yeux une si grande valeur à la théorie où sont résumées ces opérations successives et leurs conditions intellectuelles. Cette philosophie de la science expérimentale a un prix infini lorsqu’on se souvient que, pour arriver à la former, pendant de longues années l’auteur a remué lui-même (selon ses fortes expressions), dans l’hôpital, l’amphithéâtre et le laboratoire, le terrain fétide ou palpitant de la vie.

Les exemples les plus simples d’investigation expérimentale analysés par M. Bernard nous donnent les élémens suivans et dans cet ordre : 1° l’observation d’un fait ou phénomène survenu le plus souvent par hasard ; — 2° une idée préconçue, une anticipation de l’esprit qui se forme instantanément, et qui se résout en une hypothèse sur la cause probable du phénomène observé ; — 3° un raisonnement engendré par l’idée préconçue, par lequel on déduit l’expérience propre à la vérifier ; — 4° l’expérience elle-même accompagnée des procédés plus ou moins compliqués de vérification. Nous n’avons pas à entrer dans le détail de ces opérations. Notre analyse s’attachera exclusivement à l’idée à priori, que M. Claude Bernard appelle l’idée directrice de l’expérience, et à laquelle il attribue une importance capitale dans la théorie de l’invention et de la découverte scientifique. Cette idée n’est, à ses yeux, rien moins que l’âme de la science et le secret du génie. « Les faits sont les matériaux nécessaires ; mais c’est leur mise en œuvre par le raisonnement expérimental, c’est-à-dire la théorie, qui constitue et édifie véritablement la science. L’idée formulée par les faits représente la science. L’hypothèse expérimentale n’est que l’idée scientifique, préconçue ou anticipée. La théorie n’est que l’idée scientifique contrôlée par l’expérience. Le raisonnement ne sert qu’a donner une forme à nos idées, de sorte