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que tout se ramène primitivement et finalement à l’idée. C’est l’idée qui constitue le point de départ ou le primum movens de tout raisonnement scientifique, et c’est elle qui en est également le but dans l’aspiration de l’esprit vers l’inconnu. »

Ainsi donc, dans la méthode expérimentale, tout commence et s’achève par l’idée ; mais d’où vient-elle elle-même ? Comment surgit-elle tout d’un coup dans les obscurités de L’esprit ? C’est elle qui donne le branle au raisonnement expérimental et à toutes les séries des opérations plus ou moins compliquées de l’expérience et de la vérification ; mais elle-même comment naît-elle ? Qui nous dira le secret de son éclosion subite ? Il lui faut, nous dit-on, une occasion qui l’excite, un stimulus extérieur qui la provoque à la conscience d’elle-même, à la vie, à la lumière ; mais cette stimulation extérieure ne fait que provoquer le phénomène, elle ne le crée pas. Il y a quelque chose d’antérieur à lui. Quel est ce je ne sais quoi ? A coup sûr, la méthode expérimentale n’a pas le droit de le nier, puisqu’elle n’existe que par lui. Il y a donc quelque part dans les profondeurs mystérieuses de l’esprit une virtualité, une énergie qui passe tout d’un coup à l’acte, qui se réalise dans l’idée. Est-ce un sens philosophique qui s’éveille au contact du fait, est-ce un vague pressentiment, une sorte de divination ? Mais quoi ! portons-nous donc dans notre esprit, à l’état latent pour ainsi dire, les grands secrets de la nature ?

M. Claude Bernard ne recule pas devant cette explication du phénomène intellectuel qu’il analyse. Seulement on peut regretter qu’il n’en tire pas toutes les conséquences que le fait comporte. Qu’importe au surplus, s’il nous laisse le soin de les déduire après les avoir en quelque sorte préparées ? Il nous dit expressément que c’est le sentiment qui est la source de cette idée, que cette interprétation anticipée des phénomènes de la nature vient en nous d’une sorte d’intuition. Or qu’est-ce donc que ces anticipations, ces intuitions, ces pressentiment de la vérité, sinon les produits naturels de la faculté métaphysique ? Voilà le sens intuitif ramené au cœur même de la méthode expérimentale. Il y a donc quelque chose de commun (qui le croirait ?) entre le métaphysicien scolastique et l’expérimentateur du Collège de France. Ce quelque chose, c’est l’idée à priori. Toutefois la différence est grande. Tandis que le scolastique impose son idée comme l’expression de la. vérité absolue qu’il a trouvée, et affirme, sans autre preuve que l’orgueil de sa raison, la conformité de la réalité aux conceptions de son esprit, l’expérimentateur ne prend dans l’idée à priori que le point de départ. Elle précède l’expérience, elle la provoque, elle la féconde, elle la règle ; mais en définitive elle est jugée par l’expérience, condamnée si l’expérience ne la trouve pas conforme aux faits,