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du sentiment humain. Chose rare au XVIIe siècle que ces échappées vers le bleu du ciel et la verdure de la terre ! Mmo de Sévigné est avec La Fontaine du petit nombre des génies de ce temps qui aiment la nature, qui la sentent, qui se plaisent auprès d’elle, et même parmi ses contemporains elle est connue, presque signalée pour ce goût extraordinaire, puisque la froide, la raisonneuse Maintenon parle quelque part de « ces bois où Mme de Sévigné rêverait à Mme de Grignan fort à son aise. » C’est l’effet de cette sève débordante qui ne peut tenir dans un salon pas plus qu’elle ne peut tenir dans une secte, dans tout ce qui resserre l’horizon et comprime la spontanéité. Et ce qu’elle aime, ce n’est pas la campagne arrangée, artificielle, enfermée entre deux murs, c’est la vraie et large campagne à l’air libre. Elle se plaît à voir l’herbe tomber sous la faux, sans craindre de se mouiller ; elle se trouve à l’aise dans les clairières pleines de solitude et de silence ; elle a de belles passions pour le renouveau comme pour les déclins d’automne, pour les soirs transparens, pour les clartés de la lune, avec laquelle elle a des familiarités, pour les mystères des bois et pour tout ce qui vit : tout l’amuse, tout l’intéresse. Elle éclate en expressions pittoresques soit qu’elle aille chez Faverole, à Issy, « où l’épine blanche, les lilas, les fontaines et le beau temps » lui donnent tous les plaisirs qu’on peut avoir, soit que, tout fraîchement grondée par « notre bonhomme, » Arnauld d’Andilly, qui l’appelle « une jolie païenne, » elle accoure à Livry, où elle voit « le beau triomphe du mois de mai, » écoutant dans le jardin « les rossignols, les coucous et les fauvettes, » passant tout le soir « à se promener toute seule, » — soit enfin qu’elle se retrouve aux Rochers, dans la chère et familière retraite où elle voit tout, où elle connaît tout.

Ici elle ne tarit pas sur son parc, sur ses ouvriers, sur ses allées. « J’ai trouvé les bois d’une beauté et d’une tristesse extraordinaires, écrit-elle à sa fille ; tous les arbres que vous avez vus petits sont devenus grands et droits et beaux en perfection ; ils sont élagués et font une ombre agréable. Ils ont quarante ou cinquante pieds de hauteur. Il y a un petit air d’amour maternel dans ce détail. Songez que je les ai tous plantés et que je les ai vus, comme disait M. de Montbazon (de ses enfans), pas plus grands que cela. C’est ici une solitude faite exprès pour y bien rêver… » Et, comme si cela ne suffisait pas, elle y revient sans cesse, à l’été, à l’automne. « Les bois sont toujours beaux. Le vert en est cent fois plus beau que celui de Livry. Je ne sais si c’est la qualité des arbres ou la fraîcheur des pluies, mais il n’y a pas de comparaison. Tout est encore aujourd’hui (20 octobre) du même vert du mois de mai. Les feuilles qui tombent sont feuille-morte, mais celles qui tiennent