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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/468

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peu de tous les côtés. Un jour elle écrit : « Je ne dis plus mon chapelet ; à mesure que je suis avancée dans l’envie d’être dévote, je me suis retranché cette dévotion ou pour mieux dire cette distraction… » Elle trouve qu’elle rêve bien assez sans cela. Un autre jour elle ôte doucement de sa prière du soir ce qu’elle appelle de la pluche, les souvenez-vous, très pieuse vierge Marie, etc., et elle récite des miserere en français. C’est un ragoût qui réveille son attention et la met hors de la routine. Elle va jusqu’à écrire : « La morale chrétienne est excellente à tous les maux ; mais je la veux chrétienne : elle est trop creuse et trop inutile autrement… Vous aurez peine à nous faire entrer une éternité de supplices dans la tête, à moins que d’un ordre du roi ou de la Sainte-Écriture. » Et dans cette chapelle qui s’élève sous ses yeux aux Rochers, qui est restée debout après elle, quelle est l’unique inscription qu’elle place en lettres d’or au-dessus de l’autel ? Soli Deo honor et gloria ! A Dieu seul ! C’est « pour éviter toute jalousie » entre les saints, dit-elle ; un crucifix, un tableau de la sainte Vierge et son inscription, elle n’en veut pas davantage.

Est-ce par une révolte d’esprit fort, par un instinct d’indépendance philosophique, qu’elle s’arrange tout doucement une religion un peu libre ? Nullement, elle n’est rien moins qu’un esprit fort ; elle est d’avis qu’il y a « de certaines philosophies qui sont en pure perte. » Elle est tout simplement ainsi par sincérité. Le dernier mot de cette dévotion et de bien d’autres dévotions, dans ce siècle et dans bien d’autres siècles, est encore ce qu’elle dit d’elle-même : «….. Je ne suis ni à Dieu ni au diable ; cet état m’ennuie, quoique, entre nous, je le trouve le plus naturel du monde. On n’est point au diable parce qu’on craint Dieu et qu’au fond on a un principe de religion ; on n’est point à Dieu aussi parce que sa loi est dure et qu’on n’aime point à se détruire soi-même. Cela compose les tièdes, dont le grand nombre ne m’inquiète point du tout ; j’entre dans leurs raisons. Cependant Dieu les hait ; il faut donc en sortir, et voilà la difficulté… » Il y a ceux qui tranchent la difficulté héroïquement par la foi absolue ; il y a ceux qui la suppriment pour n’en avoir pas le souci ; entre les uns et les autres, il y a ceux qui la voient sans en sortir, parce qu’ils sont des hommes, parce que la vie se passe à voir des difficultés dont on ne triomphe jamais. Ils sont un peu de la famille de Montaigne, dont Mme de Sévigné faisait son compagnon à Livry et aux Rochers, qu’elle allait lire sur un banc de mousse.

Un autre trait caractéristique de cette organisation si vive, si indépendante et si souple, c’est le goût de la campagne, le sentiment rustique, dirai-je, qui n’est en fin de compte qu’une des nuances