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buanderie, wash-house, le plus souvent détachée du corps de logis. Sur le devant de la maison est un jardin où les hommes cultivent leurs légumes et où les femmes font sécher le linge, qu’elles ont blanchi de manière à lui donner l’éclat de la neige. Sur le derrière s’ouvre une petite cour pavée de galets ronds fournis par la mer, et les gardes-côtes se montrent extrêmement curieux de ce cailloutage, dans lequel ils incrustent souvent toute sorte de dessins en forme de mosaïques. Ce qu’on n’attendrait guère d’anciens matelots qui ont passé leur jeunesse à courir le monde dans un vaisseau de guerre est l’amour de l’intérieur, et pourtant Jack (c’est le nom que donnent les Anglais à tous les marins) se distingue surtout par son attachement à la vie de famille. Déjà sur le navire il portait partout avec lui une petite boîte appelée ditty box, dans laquelle il serrait soigneusement ses lettres et ses secrets de cœur, tels qu’un ruban fané et une mèche de cheveux. Malheur à qui eût alors étendu la main sur le sanctuaire caché de ses affections! La ditty box, la mystérieuse cassette, est pour lui comme le germe du foyer domestique : quand ce germe vient à éclore plus tard par suite de circonstances favorables et au soleil de deux yeux noirs, le même homme, naguère errant comme l’algue marine voiturée par les flots, s’enracine fortement au chez-soi, home. Ces ménages de gardes-côtes présentent en effet au visiteur l’emblème du bonheur dans la médiocrité. Ce qui distingue de tels intérieurs est un grand air de propreté minutieuse et charmante. Sur le seuil est étendue une sorte de natte faite avec des cordes de navire, et que les hommes ont tressée eux-mêmes de leurs mains industrieuses. Dans leur petit salon (parlor), meublé simplement, mais avec goût, tout ce qui peut luire en fait de bois ou de métaux est frotté tous les matins avec énergie. Un tapis, des rideaux de mousseline, une table bien nette et chargée de quelques livres, des corbeilles de fleurs suspendues au plafond, voilà généralement en quoi consiste la coquetterie de ces modestes foyers domestiques. L’honneur d’un si bel ordre revient naturellement à la ménagère. Toutefois le marin anglais n’est point emprunté; il sait au besoin blanchir le linge, nettoyer la maison et faire la cuisine tout aussi bien que sa femme. Cette dernière a souvent un état qu’elle exerce de son côté : couturière, ouvrière en robes ou modiste, elle ajoute chaque semaine par son industrie quelques shillings à la faible paie de son mari. Il faut la voir pourtant dans les nuits d’hiver, lorsque le vent gémit au dehors comme la plainte des noyés sur la grève, attendre seule au coin du feu le garde-côtes absent. Elle abandonne tout le reste pour suspendre le coquemar dans l’âtre et préparer la tasse de thé qui doit réchauffer les membres transis du guetteur des mers. Quand il revient de sa