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ronde de nuit ou même d’une entreprise de sauvetage, quelle joie! Les enfans qui commencent à s’éveiller lui souhaitent la bienvenue, et lui, tout en souriant à la petite famille, s’avance gravement près du feu pour faire sécher ses habits et allumer sa pipe.

Ces groupes de cinq ou six maisons se trouvent généralement enveloppés d’un mur d’enceinte, ainsi que le terrain souvent assez considérable qui s’y rattache, et sur lequel s’étendent quelques cultures potagères. Par devant, ce mur fait vis-à-vis à la mer, tandis que le reste de l’enclos se trouve borné par des champs ou des collines ouvertes. A quelques pas des cottages s’élève la station ou watch-tower (tour du guet), d’où les gardes-côtes surveillent l’océan durant la journée, et à l’aide de longues-vues embrassent tous les détails de l’horizon. Ces tours, bâties en briques ou même en bois, n’ont d’ailleurs rien de pittoresque: neuves, elles ressemblent à des colombiers; vieilles, elles font de vilaines ruines. De tels points d’observation ne consistent même quelquefois qu’en une plate-forme plus ou moins crénelée située au sommet d’une falaise. Une sorte de cercle entouré d’une balustrade, et au centre duquel se dresse un grand mât flanqué de deux vieilles pièces d’artillerie, sert alors de vedette. Les gardes-côtes vont encore de temps en temps reconnaître sur mer dans leur bateau les embarcations de mauvaise apparence. C’était jadis la partie la plus dangereuse de leur service. Il leur fallait souvent tenir tête à des hommes armés jusqu’aux dents, moitié contrebandiers et moitié pirates, qui avaient juré de vendre cher aux agens du trésor public les marchandises cachées dans un coin du vaisseau poursuivi. Les femmes elles-mêmes n’étaient point toujours étrangères à ces entreprises audacieuses de la fraude, et plus d’une héroïne de la Cornouaille s’est illustrée parmi ses compagnons d’armes dans les rencontres avec les gardes-côtes. L’un d’eux avait laissé prendre son cœur aux filets d’une fille de pêcheur belle et farouche, qui avait néanmoins promis de l’épouser après une cour assidue de deux années. Leur mariage se trouva retardé de quelques jours par une circonstance qui n’avait alors rien d’extraordinaire. Depuis un certain temps, une brigantine, on avait certes tout lieu de le croire, se livrait à la contrebande et avait plusieurs fois déjoué la vigilance des officiers du blocus. La nuit, il était impossible de la surprendre en mer, tandis que le matin on la trouvait solidement amarrée et vide sur un des points abordables du rivage. Le garde-côtes amoureux fut chargé avec quelques-uns de ses camarades de donner la chasse au bâtiment suspect. Ce n’était point une tâche aisée, car si de temps en temps un point noir se montrait à la surface ténébreuse des vagues, la brigantine échappait toujours comme un fantôme au moment où l’on croyait la sai-