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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/546

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peau de chèvre dans laquelle cette liqueur était autrefois enfermée. Il y avait pourtant à cette dernière explication une difficulté, c’est que l’outre dans laquelle les Espagnols conservent leur vin blanc ne s’appelle point dans leur langue saca, mais odre. Ne pouvant se mettre d’accord, les deux Anglais eurent l’idée de me choisir pour arbitre, sans doute en ma qualité d’étranger. Ils étaient fort mal tombés, car je ne me sentais nullement préparé à un tel rôle : je donnai pourtant tort à l’un et à l’autre. Il me semble en effet que le mot n’est ni français ni espagnol; il est anglais. Les anciens marchands de la Grande-Bretagne ont dû nécessairement être frappés de la forme et de la nature des peaux dans lesquelles leur arrivèrent d’abord les vins d’Andalousie. Désignant alors le contenu par le contenant, ils ont appelé cette liqueur sack d’un nom qui existait depuis longtemps dans leur langue, et qui s’appliquait à certaines enveloppes de marchandises. C’est comme s’ils avaient dit « du vin en sac. »

Mon cicérone avait pourtant bien vu à ma manière de déguster le sherry que je n’étais point un connaisseur en vin; me prenant alors pour un curieux, il me proposa de me montrer tout l’intérieur des caves. C’est précisément ce que je voulais. Nous nous avançâmes le long d’avenues flanquées de chaque côté par des murailles de tonneaux. Des piliers de granit à voûte surbaissée se succédaient et s’entrecroisaient dans les ténèbres, où ils finissaient par se perdre en une masse confuse. Cette architecture, quoique rude et simple, rappelle bien celle des cryptes qu’on rencontre dans les anciennes cathédrales. Le trait le plus remarquable est néanmoins la sombre végétation qui recouvre le plafond de ces galeries sans lumière. Une matière pulpeuse et noirâtre, présentant les dessins les plus variés, croît incessamment à la surface des pierres ou des briques. Quand on la touche, elle ressemble à de l’amadou, et se montre souvent revêtue d’une écume blanche qui s’évanouit sous les doigts. Les employés des docks se montrent extrêmement fiers de ces arabesques naturelles, et ne permettent jamais qu’on les détruise. Selon eux, c’est une preuve de l’excellence de ces caves. Le plus singulier est que de telles incrustations végétales ne se rencontrent jamais que sur les voûtes consacrées à la garde du vin : on croit que c’est la fumée de cette liqueur qui se condense en une sorte de substance cryptogamique. Quelques-unes de ces larges masses fungoïdes pendaient au-dessus de nos têtes en longues stalactites chargées à l’extrémité d’une matière cotonneuse. Nous marchâmes à travers ces festons et ces pendentifs, les éventant quelquefois de la main, et, toutes solides qu’elles paraissent, on les voyait alors se balancer en l’air comme des toiles d’araignée sous le souffle de la