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rence à celui d’Oporto, non qu’il fût en réalité meilleur que les nôtres, mais parce qu’il se trouvait favorisé d’après les termes du traité de Methuen, conclu en 1703 avec le Portugal. Depuis ce temps-là, il est vrai, les tarifs des douanes anglaises ont été égalisés en 1831 et successivement réduits pour tous les vins étrangers; seulement la liberté arrivait trop tard, le pli était pris, et le palais de nos voisins s’était formé à une autre saveur que celle de nos crus. Que la faute en revienne à Louis XIV ou à Guillaume III, c’est une éducation à refaire, et le dernier traité de commerce aura longtemps à lutter, en ce qui regarde les vins de France, contre un goût affermi par une habitude de plus de deux siècles. Le régime qu’ont adopté les Anglais sur leurs tables n’est d’ailleurs point favorable à la qualité de nos produits. Ils ne boivent guère qu’après le repas et ont alors besoin de vins forts qui remplacent les liqueurs.

Mon guide me conduisit successivement vers deux tonneaux, l’un de port (vin d’Oporto), l’autre de sherry (vin de Xérès), qui chacun dans son genre étaient à coup sûr excellens. Le premier se recueille sur les rives du Douro, à environ cinquante milles de la ville dont il a reçu le nom et où il est chargé sur les navires. Son grand marché est l’Angleterre, quoiqu’il voyage aussi loin que le Nouveau-Monde. Rouge et foncé en couleur, c’est bien le sang de la vigne portugaise. Le second, c’est-à-dire le sherry, se fabrique dans la province de Cadix, entre le Guadalquivir et le Guadalete. Le territoire sur lequel s’étendent les vignes forme une sorte de triangle dont Xérès-de-la-Frontera occupe une des pointes. Il varie du pâle au brun; mais c’est un axiome parmi les connaisseurs anglais qu’il ne faut point le juger à la couleur. L’âge, le cru, le nom du producteur et du marchand, voilà ses véritables lettres de noblesse. Au moment où je rendais au sommelier le verre de cristal dans lequel je venais d’épuiser la précieuse liqueur, une discussion s’éleva tout près de nous entre deux gentlemen. Comme le sujet de leurs débats était de nature à m’intéresser et n’avait rien de personnel, je dressai l’oreille. Pendant longtemps, les vins blancs de l’Andalousie, aussi bien sans doute que ceux des Canaries, ont été désignés en Angleterre sous le nom de sacks. On retrouve ce mot dans les poètes du siècle d’Elisabeth et notamment dans Shakespeare. Walter Scott lui-même s’en est servi plus d’une fois dans ses romans pour indiquer le vin de Xérès. C’est sur l’origine de cette expression que s’escrimaient les deux adversaires avec toute la science des étymologistes anglais. L’un soutenait que sack venait de notre mot français see, et servait en ce cas à désigner la qualité du vin dépouillé de sa fadeur originelle. L’autre voulait au contraire que le nom anglais dérivât de l’espagnol saca et fît allusion à la