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ne prit pas aussi tranquillement son parti de l’allocution pontificale. Il chargea son ministre des relations extérieures de témoigner son mécontentement de ce que le pape avait blâmé la loi organique en plein consistoire, et de représenter qu’un pareil langage dans une occasion aussi solennelle était peu convenable ; « les réclamations du chef de la chrétienté contre des actes de souveraineté nationale ne comportaient point une telle publicité, capable de jeter des inquiétudes dans les esprits et de mettre obstacle au bien[1]. » Chose singulière! c’était la cour de Rome qui appelait la discussion et la lumière sur les affaires qui s’étaient traitées entre les deux gouvernemens, et c’était le chef de la république issue de la révolution de 89 qui voulait mettre à leur place le silence et l’obscurité. La raison en était que, dans cette circonstance, Napoléon s’était proposé de donner le change aux consciences catholiques. Dans une proclamation récente, il avait dit : « La voix du chef de l’église s’est fait entendre aux pasteurs; ce qu’il approuve, le gouvernement l’a consenti, et les législateurs en ont fait une loi de la république[2]. » L’allocution pontificale, si précise sur ce point, jetait bas tout cet habile échafaudage, et faisait connaître aux moins clairvoyans l’état réel des choses. Le premier consul en était d’autant plus irrité qu’il portait en ce moment la peine commune à tous les gouvernemens qui n’ont souci que d’envelopper leur politique du plus profond mystère. Les paroles prononcées par sa sainteté avaient franchi les monts malgré les soins de la police. Les malveillans leur avaient donné une signification et une portée qu’elles n’avaient point; un certain trouble avait gagné les rangs du clergé, où déjà circulait le bruit qu’une rupture était imminente entre le pape et le premier consul au sujet des lois organiques. Afin de couper court à ces nouvelles mensongères, Napoléon se résigna, bien à contre-cœur, à faire insérer l’allocution pontificale dans le Moniteur; mais en même temps, pour en atténuer l’effet et infirmer aux yeux du public la condamnation prononcée par le pape contre les lois organiques, il eut soin d’ajouter, en dehors de toute vérité, par une note insérée dans la feuille officielle, qu’il ne s’agissait là que de l’une des réserves habituelles à la cour de Rome, qui lui servaient depuis tant d’années à réclamer contre les libertés de l’église gallicane[3].

  1. Dépêche à M. Cacault, 1802.
  2. Moniteur du 27 germinal an X (avril 1802).
  3. Moniteur du mardi 19 prairial an X. Il en coûtait peu au premier consul et plus tard à l’empereur de mettre au Moniteur des assertions qui n’avaient rien de fondé, et parfois aussi d’arranger à sa guise et toujours à son avantage les documens étrangers qui avaient trait aux affaires de France. En ce qui regarde la cour de Rome, cette habitude commence aux jours de ses premiers rapports avec elle, et depuis n’a guère cessé. En voici un exemple : dans la bulle de ratification du concordat, le saint-père donne au premier consul le titre de vir illustris, et ajoute Deus... eadem cupiditate finem tot malis imponendi i,flammavit eum. — Le Moniteur, qui mit d’ailleurs le texte original en regard, traduit pour ceux qui ne savent pas le latin : « Dieu a fait naître dans le cœur généreux de l’homme célèbre et juste les mêmes désirs... » Dans ce cas particulier, la fausseté de la traduction est plus puérile qu’elle n’est importante, mais elle fait nombre, et nous en rencontrerons prochainement d’autres et de plus graves.