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Survint bientôt une autre affaire qui touchait moins à la conscience de Pie VII, mais qui atteignait au plus haut point sa dignité de souverain et de pontife. Le premier consul, toujours ardent à tirer des résolutions qu’il avait prises tous les avantages qu’elles comportaient, mit tout à coup en avant, sous une forme singulièrement brusque, quelques-unes de ces exigences impérieuses dont le refus ne manquait jamais d’exciter sa colère. Puisque la France nouvelle était maintenant réconciliée avec le saint-siège, il fallait qu’on lui accordât des cardinaux. La désignation qu’il en ferait lui-même, leur présence à Paris dans le groupe des personnages officiels qui étaient en train de former peu à peu autour de lui une véritable cour, ajouteraient encore au prestige dont il était alors, par ambition politique plus que par vanité personnelle, si désireux de s’environner. « Il y a cinq places de cardinaux vacantes au sacré-collège, écrit-il au ministre des relations extérieures; vous ferez savoir au citoyen Cacault que je désire que ces places soient données à la France... Le citoyen Cacault fera connaître que le cardinal Montmorency, loin d’être Français, devrait être destitué, puisqu’il a refusé, que Rohan est évêque d’Allemagne….. Du reste, je m’en rapporte au pape. Si on n’adhère pas à ma juste demande, je renonce dès ce moment à toute nomination de cardinaux, parce que je préfère que la France n’ait rien de commun avec le sacré-collège à ce qu’elle soit moins bien traitée que les autres puissances[1]. » Ce coup de boutoir, comme le qualifie M. Cacault, quoique atténué par une lettre tout à fait convenable du premier consul au pape et par les dépêches infiniment plus mesurées de M. de Talleyrand, surprit étrangement le Vatican. On y était accoutumé à voir les cabinets étrangers se disputer entre eux avec ardeur les chapeaux vacans, quand l’occasion se présentait de choisir quelques cardinaux en dehors de ce qu’on appelle communément la promotion des couronnes. Il était tout à fait nouveau que l’une d’elles voulût se faire elle-même sa part et sur un pareil ton. Il ne paraissait pas moins singulier à la chancellerie romaine de s’entendre dire qu’un Montmorency n’était plus Français, ou qu’un Rohan était devenu Allemand parce que l’évêché de Strasbourg avait

  1. Correspondance de Napoléon Ier, 8 juillet 1802.