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exemple qui frappe tout le clergé. Je ne suis plus content du vicaire de Saint-Sulpice : c’est un homme également à dégrader[1]. » Depuis qu’il a été nommé consul à vie, et lorsque le moment approche où il va devenir empereur, sa correspondance devient de plus en plus acerbe. Elle revêt un caractère plus marqué d’irritation et de menaces à l’égard non-seulement de ceux qui sont des opposans en politique, ce qui serait assez simple, mais aussi à l’égard de ceux qui ne sont que de simples dissidens dans les matières purement religieuses. Il les confond volontairement et les poursuit de la même haine. Le succès, comme il serait naturel, n’apaise pas son âme. Devenu plus puissant, il en profite pour se rendre, plus terrible. Les informations de M. Portails sur les mouvemens que plusieurs prêtres se sont donnés en Vendée pendant que l’on tramait une conspiration contre lui ne lui paraissent point assez complètes. En les transmettant au ministre de la justice, qui est aussi celui de la police, il lui signale un certain nombre d’entre eux qui ont autrefois refusé d’adhérer au concordat. Il se rappelle vaguement que l’évêque de La Rochelle lui en aurait dénoncé neuf ou dix. Il écrit là-dessus à M. Régnier de les faire arrêter... « Dans le diocèse de Liège, il faut également prendre des renseignemens et faire arrêter dix des principaux. Je veux bien encore être indulgent et consentir à ce que ces prêtres (quelle indulgence!) soient déportés à Rimini; mais je désire que vous me fassiez connaître la peine qu’encourt un prêtre en place qui se sépare de la communion de son évêque, et qui abjure un serment qu’il a prêté. Dieu le punira dans l’autre monde, mais César doit le punir aussi dans celui-ci[2]. »

A coup sûr, il y a lieu de blâmer les procédés du premier consul à l’égard de cette portion bien minime du clergé qu’il croyait à tort ou à raison contraire à ses desseins; mais que dire de la façon dont il en usait avec les gens d’église qu’il savait lui être entièrement dévoués? A ceux-là il n’interdisait pas la politique; il les y introduisait lui-même, et de quelle façon, on va le voir. Un mot grossier a été prêté à Napoléon : « il n’y a rien que je ne puisse faire avec mes gendarmes et avec mes prêtres. » Nous ne savons s’il l’a prononcé; il faut beaucoup se méfier de ces phrases qui ont la prétention de résumer sous forme de sentence toute une politique; elles sont la plupart du temps inventées après coup. Ce qui est malheureusement vrai, c’est qu’il avait tout à fait pris au pied de la lettre cette portion du serment des évêques par laquelle, « si dans leurs diocèses ou ailleurs ils apprenaient qu’il se tramait

  1. Correspondance de Napoléon Ier, p. 240, 306, 320, 339, 474.
  2. Ibid, t. IX, p. 310.