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ser en demandant pour la troisième fois la suspension de l’act de 1844. N’est-il pas bizarre qu’un act qui a été fait pour prévenir les crises, pour en diminuer au moins la gravité, ne puisse être maintenu lorsqu’on est précisément en face d’une de ces calamités, et qu’il faille toujours le suspendre sous peine des désastres les plus effroyables? On aura beau dire que la convertibilité des billets au porteur étant parfaitement assurée par l’act de 1844, c’est une complication de moins dans les embarras financiers : cette considération n’a pas d’importance. Nous n’avons pas d’act de 1844 en France, et nous ne voyons pas qu’aux momens les plus critiques, en 1847, en 1857 et encore en 1864, le remboursement des billets au porteur émis par notre principal établissement financier ait été un instant l’objet d’un doute. Je ne parle pas de 1848, où, pour des raisons que chacun connaît, et qui sont complètement en dehors de tout système financier, la Banque de France a dû suspendre momentanément ses paiemens; elle y aurait été obligée même avec l’act de 1844.

Jamais non plus il n’y a eu en France un abus de la circulation fiduciaire qui ait pu déterminer une émigration du numéraire et créer des obstacles au rétablissement du change lorsque le change nous a été contraire; toujours la Banque de France, par le simple fait de la gradation du taux de l’escompte, a été en état de remplir tous ses devoirs, et comme elle n’était pas emprisonnée dans un act qui lui imposait des obligations rigoureuses, elle a pu les remplir avec modération et en atténuant les crises, tandis que la suspension de l’act de 1844 dans les momens difficiles ressemble au caveant consules des Romains; il nous avertit que la patrie est en danger, et comme il s’agit de choses très délicates où l’effet moral joue un grand rôle, cet avertissement que le crédit ne repose plus sur des bases solides augmente encore le mal. Je demande à quoi sert l’act de 1844, puisqu’il est sans influence pour prévenir les crises, et que, lorsqu’elles arrivent, il les aggrave. Je défie qu’on me cite un service rendu par cet act qui n’aurait pu l’être par notre système de banque, tandis que l’on pourrait citer de nombreux malheurs qu’il a causés, et qui ont été évités chez nous.

Maintenant, quant à la solidarité financière de la Banque d’Angleterre et de la Banque de France, les faits de cette année n’ont pas prouvé non plus qu’elle n’existait pas. Ils ont prouvé seulement que cette solidarité était limitée, qu’elle ne s’étendait qu’à un genre de capitaux, à ceux qui sont entre les mains des banquiers, et qui peuvent se déplacer aisément lorsqu’ils ont le moindre profit à le faire; puis, que s’il y a des momens où même avec cette limitation on doit s’en préoccuper, comme nous l’avons fait en 1857 et en